Frénésie des fusions dans le monde universitaire : quelles stratégies doit privilégier l’enseignement supérieur français pour être plus attractif à l’international ? Entretien avec Alain FUCHS

Dans un premier temps, nous voulions revenir sur les origines de PSL afin que vous nous expliquiez les objectifs initiaux du projet, les motivations ayant mené à la création de ce regroupement et que vous nous donniez votre ressenti sur ce qu’il s’est passé depuis sa création. Quel regard jetez-vous sur ce qu’est devenu PSL par rapport aux objectifs affichés initialement ?

Alain Fuchs : « Tout d’abord, PSL a dix ans en gros, c’est une affaire de 2010 à peu près. Je n’ai pas toujours fait partie de PSL, mais j’ai suivi le projet de près pendant mes années à Chimie et au CNRS. Je trouve que c’est un très bon projet : parmi tous les projets français de regroupement et de création de nouvelles universités internationales, j’ai trouvé que c’était le plus excitant personnellement. 

« Aujourd’hui, les disciplines scientifiques doivent dialoguer entre elles »

Le constat qui était fait en France depuis assez longtemps mais peut être plus particulièrement depuis les années 2000, disons vers le milieu des années 2000-2010, était celui d’un manque de visibilité des établissements français à l’international. En 2007, la loi LRU (liberté responsabilités des universités), portée par Mme Pécresse alors ministre, a cherché à remédier à ce problème. Les universités étaient dispersées sur le territoire : dans des villes académiques comme Paris, les universités portaient des numéros par exemple. Il y avait une fragmentation du système qui résultait de ce qu’il s’est passé à la suite des évènements de mai 68. Dans le monde, souvent, les grandes universités sont multidisciplinaires ; Cambridge et Oxford, Harvard, MIT, Stanford, Université de Tokyo. Même s’il existe des exceptions à cette règle (comme l’EPFL par exemple où j’ai fait mes études), on note une nette tendance vers le multidisciplinaire. Pourquoi ? Ce n’est pas juste pour faire joli, c’est parce qu’aujourd’hui, les disciplines scientifiques doivent dialoguer entre elles. On vit dans un monde, et ça sera probablement de plus en plus le cas dans les décennies qui viennent, où les questions qu’on doit aborder nécessitent une approche multiple avec plusieurs disciplines.

Pour revenir au système d’enseignement supérieur français, son éclatement le rendait très difficile à comprendre de l’extérieur. Mais on a progressé, et PSL fait partie des regroupements qui permettent de clarifier les choses et simplifier progressivement le système. Pourquoi faut-il que notre système soit compréhensible de l’extérieur ? Tout simplement parce qu’aujourd’hui la science est mondialisée. Ce que je vous dis là n’est pas un slogan, je ne suis pas un partisan de la mondialisation : je constate que l’enseignement supérieur est mondialisé. Que veut dire mondialisé ? Ça veut dire que les idées et les cerveaux circulent dans le monde entier. On a des « hubs » ; entre les grandes universités, la circulation n’a jamais été aussi forte. Avec Internet, les gens communiquent et travaillent de plus en plus ensemble. Donc si c’est mondialisé de cette façon-là, il faut qu’un pays comme la France reste connecté à cette mondialisation. »

Est-ce qu’il n’y a pas une forme d’ambivalence dans cette volonté de clarifier le système dans la mesure où aujourd’hui, tous ces nouveaux noms « Sorbonne Université », « PSL », … désignant des grandes entités, peuvent amener à des confusions dans leur signification, à savoir ce qu’elles désignent précisément ? 

« On a besoin d’avoir quelques universités qui soient des universités phares, de niveau mondial, compréhensibles et visibles à l’international. »

A.F. : « C’est une réforme, une réforme de grande ampleur comme il n’y en avait pas eu dans l’enseignement supérieur français depuis cinquante ans. Évidemment, à partir du moment où il bouge un peu, il faut se faire aux nouvelles structures. Le pari qui a été fait il y a dix ans est de dire : on ne va pas nécessairement tout bouleverser mais on a besoin d’avoir quelques universités qui soient des universités phares, de niveau mondial, compréhensibles et visibles à l’international. Alors évidemment, il faut que la visibilité progresse aussi au niveau national. Il ne s’agit pas de faire de grands « mastodontes » : par exemple PSL ce n’est pas grand, c’est 17 000 étudiants. Ce n’est pas énorme mais c’est la taille d’une université comme Princeton ou Harvard. Les grandes universités internationales ne sont généralement pas immenses. Je disais qu’il n’y a pas de modèle international mais les grands principes sont quand même une certaine forme de sélectivité et d’exigence. On n’est pas obligés de sélectionner nos étudiants de sorte qu’on ne prenne que 5% des candidats, ce qui est pourtant le cas pour les grandes universités américaines ou à Londres. 

On n’a pas besoin d’aller jusque-là mais on a besoin d’une université attractive, avec une proportion d’étudiants étrangers non négligeable. On suit le modèle international aujourd’hui à Paris : on va avoir trois universités, visibles, que sont la Sorbonne, PSL et l’Université de Paris. On a aussi Paris-Saclay en Ile-de-France. Ces quatre universités sont les plus visibles en France aussi, ce qui est d’ailleurs un problème de concentration.

« On fait beaucoup d’efforts aujourd’hui pour expliquer que les nouvelles Universités n’écrasent pas les marques des établissements-composantes »

 Alors oui c’est un changement, c’est une modification, c’est vrai notamment pour les entreprises aussi. Elles sont habituées à recruter des jeunes sortant avec des diplômes de telle université, de Dauphine ou bien de l’Ecole des Mines, etc. Nous on fait beaucoup d’efforts aujourd’hui pour expliquer que les nouvelles Universités n’écrasent pas les marques des établissements-composantes qui sont souvent prestigieuses. Le principe est donc d’avoir un certain nombre de marques qui sont connues en France et qui doivent continuer à exister mais de faire passer l’idée qu’il y a une université « ombrelle » qui représente tout le monde à l’international. Ça commence à prendre forme, il a fallu une dizaine d’années, c’est long, c’est toujours long, mais les choses commencent à être stabilisées. 

Il y a dix ans, en 2008-2009, il s’est passé quelque chose d’important : le « grand emprunt ». Il s’agissait de la volonté du président Sarkozy d’emprunter beaucoup d’argent pour des investissements d’avenir. Maintenant ça s’appelle programme d’investissements d’avenir (PIA). Beaucoup d’argent a été consacré notamment à la restructuration de l’enseignement supérieur. Dans le cadre du PIA 1, un de ces programmes était appelé IDEX (= Initiative d’Excellence). C’est une sorte de concours, d’appel à projets, visant à regrouper des établissements. L’Université de Strasbourg a été une des premières du programme IDEX à obtenir des résultats. Au terme d’une période probatoire de quatre ans si le projet est satisfaisant alors le capital et le label lui sont accordés définitivement. L’université touche alors ad vitam aeternam les revenus du capital qui lui est affecté. 

C’est une évolution très forte, une réforme importante que d’avoir des universités multidisciplinaires, plus costaudes et autonomes, et qui sont dotées d’un capital. Alors c’est quelques centaines de millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable, mais ce n’est évidemment pas encore comparable aux grandes universités privées américaines. Les grandes anciennes comme Harvard, Stanford ou MIT sont à la tête d’un véritable capital se chiffrant en milliards de dollars plutôt qu’en centaines de millions. Mais quand même, cette volonté de doter des nouvelles universités d’un capital était très nouvelle en France. Ce n’est pas encore nous qui le gérons, c’est l’État qui nous verse des intérêts mais c’est quand même une évolution forte parce que l’autonomie des universités en France, c’est toujours un vrai sujet. »

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