Quoi de neuf ? #4

S’intensifier :

des livres, des sens et une morte

A chaque phrase, cet élan qui monte sans qu’on sache lorsqu’il est pertinent de patienter, de décanter. On veut finir, absorber toute la cohérence, et on s’arrête pour déguster. Cette ivresse qui nous prend nous pousse à chercher les mal entendus pour embrasser enfin toutes les appréhensions possibles du texte. Se soûler tout à fait. On a envie de partager des bouts, de payer sa tournée, de citer partout, de projeter par les gens d’autres appréciations sur les pages, qu’ils nous parlent d’arômes qu’on n’avait pas sû rencontrer. On imagine ce qui va résonner en eux pour vibrer au pluriel et boire doublement. C’est fou comme ces fulgurances confinent, dans leur intensité, à la danse, à l’alcool et au sexuel. C’est immense cette sensation de déborder du sens qu’un être a mis dans quelques symboles, qui se déploient dans un cerveau formé pour les déchiffrer. Au risque de paraître péremptoire : l’intellectuel est libidineux. 

Ce désir serein s’installe, s’éclaire parfois au détour de tes mots, d’un sourire, d’un regard sur moi ou sur les choses, qui les réalise. Je ne sais toujours pas si c’est que je le connais ou qu’il me surprend. Il est intense et doux, parfois un brin espiègle, il se pose et semble faire éclore subjectivement son objet. Tes yeux paraissent voir tout à travers un, et l’un s’anime sans qu’on sache si c’est toi, lui, nous ou un concerto qui en est la cause. Peut-être que toi-même tu n’y mets rien, que tu n’observes rien précisément, que tout ça n’est dû qu’à la porosité entre acteur et spectateur. Quand tu me regardes, je ne me sens ni égarée ni fébrile, ton amour ne m’est pas intimidant. J’ai envie de rester dans tes yeux mais je n’ai pas peur de sortir de ta pupille. Je suis bien là, je serai bien loin. Et je sens ce désir serein qui s’installe.

Au coin de la fenêtre, la chute comme un i sous le point final. Pas d’explication, elle n’a même pas sauté, elle s’est laissé tomber, comme évanouie. Un corps en pyjama gît sur le béton. La sirène retentit aux premières lueurs du jour, peut-être deux heures après le choc. Elle rompt le silence et chasse définitivement la nuit. Celui qui a appelé attend à plusieurs mètres, inerte lui aussi. Il a déposé un mouchoir sur le visage mais on distingue le front, la joue, l’oreille. Pas les yeux. Le bruit de l’atterrissage n’était pas assez fort pour réveiller les voisins. L’impact sourd n’a pas empêché quelques dislocations. L’épaule est désossée, le pied et la cheville forment un angle trop aigu. La gravité n’a pas son égale pour rendre les chutes définitives.

Jusqu’aux sinus, pénétration nasale inopportune. Consentie, malgré la douleur et la petite larme, en sortant de la cabane trop blanche et plastifiée pour avoir une once de candeur enfantine. Si l’on devait sacrifier un sens, sans doute choisirait-on massivement l’odorat. Pourtant, l’odeur particulière chez nos amis et familles, celle de chien mouillé, de vieux papier, de ce plat précis qu’on mangeait à cet instant là, de cette personne qu’on a côtoyée à portée d’haleine et de sueur, peuvent nous assaillir avec autant d’intensité qu’une autre sensation. La pérennité du souvenir passe aussi par ce biais, j’aime encore l’odeur de cendre froide et plus celui qui me l’a faite aimer. J’ai un ami qui pense parfois olfactivement. Il a des souvenirs et des rêves qui se respirent. On avait discuté du Parfum, ce livre de Patrick Süskind dont la fin met en scène l’apothéose de l’olfactif. Je ne dirai qu’un mot, “épectase”, et allez sentir vous-mêmes.

Aspill

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