Les maux et les mots

Au départ, ce n’était que du supplice et du bruit ce qu’on était. Une boule braillarde et endolorie d’avoir été retirée de l’inexistence. Puis il y a eu les mots. Malgré leurs airs dociles et malléables, tout est devenu bien pénible et contraignant. On en a mis partout, sur notre souffrance surtout puisqu’ils semblaient l’unifier avec notre bruit. Mais alors il fallut s’imposer une norme en se donnant une science et bien vite les maux eux même devinrent esclaves des mots car les peines devaient se conformer à cette mascarade déifiée que l’on nomma vérité. 

C’est donc tout naturellement que l’on devient atteint de cette sale et froide espèce, de ce besoin irrépressible de noyer tout sentiment partagé dans une vérité insensible et magnanime. Ici, on sait faire. Et bien comme il faut. C’est notre spécialité. On s’y adonne sans vergogne et lorsqu’une camarade, mue par la douleur, se met à nue en toute pudeur, elle se retrouve auscultée en toute obscénité.

Y a pas à dire, la détresse des pauvres est bien inconvenante. Il faut pourtant choisir face à ces clochards du bonheur entre les ignorer en changeant de trottoir ou  les égayer d’une pièce lourde de désespoir. Et dans tout ça, le jugement des scientifiques, bafouillant comme un puceau des  sentiments, tripote cette peine avec méthode et grossièreté. Il l’écrase cette souffrance, sous le poids du devoir de savoir et il la fouette encore cette dissidente récalcitrante. On aurait pu se taire et la laisser vagabonder dans un silence solennel cette peine, on préfère se dresser en porte-drapeau de cette glorieuse faillite intellectuelle consistant à faire cuire à la marmite d’analyse le moindre écrit, le premier cri. C’est donc toujours la même soupe : des mots,  des faits, du savoir, mots, faits, savoir ! Ça en est à se foutre la gerbe ! Et bla! et bla ! et reblabla !  10 minutes on vous prête l’oreille et vous l’assourdissez de votre pomposité ! Et bla et reblabla !  Farouche aux peines de cœur vous vous saisissez des premières lamentations, vous les piétinez  salement comme de la grappe de vendange le tout pour nous arroser d’un vinaigre de vérité vaniteuse. On en deviendrait ivrogne à avoir le foie qui macère dans ce brillant marasme.

Y’a que ça de vrai pourtant, rien d’autre qui nous lie que la peine, celle qui masque par delà le silence le plus personnel le cri de notre humanité première. Mais non ! Pour satisfaire vos lubies il faut de la vraie peine, et tant pis pour le pléonasme.

Nos voies du savoir, étriquées et artificielles, ne mènent pas au palais de la sensibilité. On sera donc toujours confrontés à ce fléau de la critique et l’argumentation incongrûment portées sur tout, tant que l’on verra dans la science la voie à l’omniscience.

Par Hannah HEISSBERG

En réaction à la lettre anonyme publiée sur le 17 décembre 2020 sur CPEculationS, suivie le 18 décembre 2020 d’un #Perspectives sur la question de la santé mentale des étudiant.es du CPES.

Aspill

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