Réflexions…

Réflexions…

Comment trouver un sens à nos vies, en ce moment ? Quelle utilité ai-je en cette période ? À quoi ça sert, d’étudier les arts, la sociologie, la philosophie, les mathématiques, la physique, quand tout semble s’effondrer autour de nous et qu’on ne sait même pas en quoi est-ce que ces acquis nous serviront plus tard si tant est qu’un « plus tard » il y aura ? Comment avancer, vers quoi avancer, pourquoi avancer ? Comment composer et se construire sur des fondations si branlantes ? De quelle manière jongler entre développement personnel et souci d’intérêt général ? Est-ce mon rôle de me soucier de cet intérêt collectif ? Après tout, à mon niveau, quel légitimité ai-je et que sais-je de ces enjeux ? Pourtant, puis-je vraiment m’en distinguer ? Je vous rassure, je n’ai pas de réponse à ces questions. Je pense néanmoins qu’il est normal de se les poser et que c’est peut-être signe d’une certaine conscience du monde qui nous entoure, et de son impact sur notre être. 

Il m’est souvent arrivé, au détour d’une rue, d’être frappée d’un sentiment d’absurdité. Quand je dis frappée, je l’ai réellement ressenti comme tel. Je marche d’un point A à un point B, et là, tout à coup, le caractère insensé de tout ce qui se dresse autour de moi m’accable violemment. Comment en est-on arrivé là ? D’où est-ce que ça sort, ces trottoirs, ces bâtiments, ces gens, c’est quand même bizarre tout ça, non ?

« Ce divorce entre l’homme de sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité. » (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe) Camus explique que ce sentiment d’absurdité ne témoigne non pas du caractère absurde du sujet ou du monde pris indépendamment ; mais il nait au point de rencontre entre les deux. C’est « la raison lucide qui constate ses limites » (ibid.), pouvant être entendue comme une prise de conscience tellement frappante qu’elle engendre dans l’immédiat une impression soudaine de distance et une certaine incompréhension. L’absurde surgit de la rencontre de l’individu et du monde entravée par l’impossibilité d’une communication entre les deux. 

Chez moi, ce sentiment va souvent de pair avec une impression d’être en tension permanente entre plusieurs choses. Par exemple, il y a ma ville maternelle, celle où j’ai grandi et qui est lourde d’une charge dont je ne saurais me défaire, la charge de mon « moi » construit de ma naissance à l’obtention de mon baccalauréat, et de tout ce qui l’a accompagné. A cette vie-là vient se confronter la deuxième, la nouvelle, la vie parisienne engendrée par l’entrée en études supérieures : la possibilité de repartir à zéro et de se construire sur des bases nouvelles tout en étant consciente que j’en suis arrivée là via tout ce qui a précédé. La confrontation simultanée de ces deux vies peut être difficile. Il m’est arrivé de rentrer chez moi, dans ma ville d’origine, et de constater un décalage quelque peu vertigineux né d’une impression que rien n’avait évolué ici, que de mon côté j’avais pris un tournant radical freiné par un retour en arrière assez brusque (frappant lors des premières fois où je qui retournée « à la maison »). Dans ces moments-là, je me souviens que les questionnements sur mon identité, sur le sens que prenait mon existence étaient incroyablement (presque fatalement) présents et pouvaient carrément susciter un certain dégoût envers ma ville natale et aussi envers moi-même, capable d’éprouver ce ressenti. Souvent, ce dégoût s’en allait en prenant de l’altitude et en retrouvant les montagnes qui surplombent cette ville : alors tout reprenait doucement sens. Et quand je remontais à Paris, je me sentais extérieure, n’appartenant pas à cette deuxième vie. Très souvent donc, j’ai eu l’impression de n’être bien nulle part, et à la fois partout, mais surtout d’être étrangère à là où j’étais.  

Ce récit d’une expérience personnelle me permet de déboucher sur une réflexion concernant la période actuelle qui exacerbe tout particulièrement ce sentiment, pouvant se traduire par une sorte d’incompréhension et d’égarement sur le chemin qui nous conduit à trouver une identité et un sens à notre existence, finalement. Ce ne sont pas des choses mauvaises, loin de là, néanmoins elles peuvent revêtir une certaine dangerosité toxique si l’on s’y perd. Vous me direz que c’est un peu étrange de se perdre dans son égarement et son incompréhension…mais en fait, je pense que l’on peut soit accepter et embrasser ces sentiments pour en faire une force, tenter de les comprendre, soit s’y perdre et alors, c’est nous qui allons vers notre perte. Malheureusement, je trouve que les circonstances actuelles permettent difficilement de faire une force de notre difficulté à donner un sens à notre existence. Mais le risque est justement de tomber dans la lassitude d’un monde et d’un « moi » que nous ne comprenons pas, que nous ne trouvons pas, et surtout, de ne pas prendre conscience de cette lassitude pour rebondir dessus. 

Il convient alors de se demander comment résister à l’ombre de ce « divorce » entre nous, nous-même et le monde qui plane au-dessus de nous. Je répondrai que la première étape, à mon sens, est justement d’y faire face pour tenter d’éclairer cette étrange expérience, de la comprendre. À cela j’ajouterai qu’il me semble absurde de penser pouvoir y parvenir seul.e, et proposerai donc les choses suivantes : soyons acteurs et actrices de nos vies. Interrogeons-nous. Remettons en question et échangeons, réinventons, construisons, déconstruisons, reconstruisons, ensemble. Considérons l’apprentissage de connaissances comme un outil pour entrer dans cette démarche active vis-à-vis du monde et des autres. Ne nous plaçons pas comme extérieur.e.s à ces derniers, ne les contemplons pas passivement et lascivement. C’est, je crois, d’une nécessité primordiale pour ne pas s’oublier dans notre égarement et sombrer dans une dangereuse et irréversible impression de perte de sens.

  Par Clara de Leiris

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