Quelle gourde ?

Je suis revenue sur le rivage économique et social comme l’objet mythique à posséder. Cette rentrée, une marée de sixièmes (6 000 élèves du département de Saône-et-Loire) m’ont reçue, sans frais, suite à l’initiative d’un jeune auto-entrepreneur. Top tendance, j’inonde le marché mondial et en particulier les rayons de France. En effet, de toute forme, couleur, matière, je vous en fais boire de toutes les couleurs. 

De nos jours, je suis le geste écolo à faire : recyclable, je sauve la planète ! Je ne suis pas une de ces 89 milliards de bouteilles en plastique-là à usage unique qui polluent les océans. Moi, on me recycle sans fin. Alors fini la mer de bouteilles en plastique ! Fini les millions de pétrole nécessaires pour fabriquer les Autres en plastique ! Fini les bouteilles jetées et non-recyclées ! 

En effet, je suis un objet sacralisé pour les nouvelles générations soucieuses de leur mer. Je suis comme un objet rituel pour préserver notre Mère nature. Je recueille sa sève et la garde à l’infini.

Je suis, par ailleurs, le merveilleux coquillage qui contient la plus belle des perles : la vie ! En effet, réutilisable sans fin et personnelle, je permets d’éviter les échanges non hygiéniques de bouteilles. Fini le risque de contamination, place à la lutte contre la Covid !! C’est ainsi que, inclue dans un pack fourniture, j’ai été conçue en fibre de cannes et proposée par l’association des parents d’élèves à leurs collégiens. De tout temps, je garde l’eau, les boissons ou les élixirs. Utilisée dans les déserts, je représente la survie et devient l’objet sacré par excellence. Sans moi, la mort est assurée. Alors on me prie et me vénère tel le Capitaine Haddock dans Tintin au pays de l’or noir. En mon sein, se cache l’eau, le plus précieux des trésors. Sans eau, il n’y a pas de vivants alors je suis le totem de la vie. Puis je suis également porteur de prospérité, de vaillance et de longévité. Véritable gourde magique en Chine, je transporte les médicaments et les élixirs. Le 07 mars 2020, j’ai été écoulée à 4,1 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Bourges puisque ma porcelaine avait appartenu à l’Empereur chinois du XVIIIème siècle. De nos jours, je jaillis dans l’imaginaire comme un geyser mythique : qui n’imagine pas, en me possédant, être tout puissant ? Astérix le prouve : son courage, sa force, son aura proviennent uniquement de sa gourde magique ! Alors, nombre soldats ou cyclistes se sont ressourcés par une gorgée de ma sève, qu’elle soit alcoolisée ou énergisante. Je suis la source qui galvanise l’homme.

Certes, on m’avait délaissée et reléguée à une banale gourde de cycliste ou d’écolier. Cependant, maintenant, fini la gourde qui sent mauvais et dont l’esthétique reste à désirer ! Place à un tsunami d’ingéniosités, d’élégances et de couleurs ! Loin de ce côté empoté et bouffi que suggère mon nom, je suis un fabuleux top-modèle. Par-dessus tout, je suis un modèle d’éco-responsabilité. 

Je deviens l’objet sacré écologique. Par moi, le consommateur s’engage, comme le démontre Sophie Dubuisson-Quellier : il montre à autrui qu’il est sensibilisé à l’environnement. Assurément, je peux n’être, pour certains, que le moyen trouvé pour se donner bonne conscience, puisque, véritable acte citoyen, je suis socialement valorisée. Par moi, l’homme montre aux autres qu’il prend soin de l’environnement et pense à eux et au monde. Dans la pensée gourdosienne, je suis en effet l’habitus du jeune écolo engagé et sensible à l’environnement. Alors, je symbolise la petite goutte dans l’océan : un geste engagé qui rend les Français perméables aux influences écologiques. Avec une gourde, s’ouvre une mer de possibilités dans laquelle il est libre de naviguer pour découvrir de nouvelles manières de se préoccuper de la nature. Comme une gourde d’eau qui fait déborder le vase, je peux déchainer la tempête écologique. Avec moi, les campagnes publicitaires inondent pour vanter mes si nombreuses qualités. Et en suivant, je suis comme un impératif dans notre société. Les célébrités ou les étudiants se mobilisent pour influencer les pensées et infiltrer les gourdes dans les festivals et fêtes. En effet, avec une gourde, l’homme souhaite montrer qu’il s’engage. Or, d’une petite goutte, jaillit une cascade. D’une rivière, jaillit un océan. De même, d’une gourde jaillissent responsabilité écologique et vie. 

Tout le monde est concerné par le réchauffement climatique : j’accède donc au rang de mythe mondial. Néanmoins, malgré le symbole éco-responsable que je diffuse, je peux n’être qu’une mode passagère. « Que je suis gourde ! » me diriez-vous. Je m’écoule dans le temps jusqu’à peut-être disparaître comme l’eau le ferait ou être remplacée par des flasques plus écologiques. Alors si l’on préfère me jeter comme une vulgaire bouteille et tarir ma portée mythique, je n’ai plus qu’à vous dire gourde bye

Par Célia Morgavi

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