Meta : Métavers, une brève histoire de la fin de l’humanité

Le dernier robot de Facebook/Meta // Crédit photo : Anthony Quintano, Flickr

Ces derniers temps, les têtes ont opéré un audacieux changement d’inclinaison depuis les profondeurs smartphoniques pour s’orienter vers le haut, le plafond, le ciel, les étoiles, l’espace. Les temps gris du Covid ont tourné au bleu ciel, voire bleu ciel foncé.  En juillet dernier, les richissimes Jeff Bezos et Richard Branson se sont envoyés dans l’espace (restons polis) à bord de leur navette touristique carburant aux milliards de dollars, confirmant encore une fois que les milliardaires sont les nouveaux porteurs du rêve spatial et technologique que semblent avoir abandonné en partie les agences spatiales gouvernementales.

Ainsi, nos fous de la fusée Bezos et Branson ont marqué l’histoire du mariage entre les entreprises privées et l’espace, mais n’oublions pas que si dans la course à l’innovation, au “progrès”, Diabolo et Satanas sont très souvent en pole position, ils finissent toujours par arriver bons derniers. Et dans cette course au rêve, au monde du tout-technologique, Dieu (qui existe -une carte mère dans un data center du désert californien-) sait combien ils sont nombreux à s’y lancer. Et pas toujours besoin de prendre la première fusée Amazon destination l’ISS pour aller aussi loin, si ce n’est plus. 

Après de sales dernières années à la tête de Facebook, à être auditionné par les sénateurs américains, à se faire critiquer au sujet de la protection des données personnelles, à se faire accuser d’optimisation fiscale pour Facebook, Mark Zuckerberg s’est lui aussi lancé dans une nouvelle vie, loin des problèmes qu’il a avec son entreprise. Mark, il en a eu marre, et si le monde réel est parfois trop rigide avec lui, alors il va créer son monde à lui. Et il vous emmènera avec ! Facebook est mort, vive Meta ! Meta pour métavers, terme né sous la plume de Neal Stephenson en 1992 dans Le Samouraï virtuel. Le métavers, c’est la vie-facebook, c’est plonger littéralement dans son smartphone. Comme le décrit Facebook/Meta, c’est “un endroit où nous jouerons et nous connecterons en 3D. Bienvenue dans le prochain chapitre de la connexion sociale”. Meta, c’est la fusée de Mark pour l’emmener loin des problèmes. 

Peut-être y a-t-il encore dans le monde réel une pertinence qui éviterait de tourner cette histoire de progrès numérique en une dangereuse histoire d’enfer numérique…

Les différentes déclinaisons du logo de Meta // Crédit photo : Meta/Facebook sur Trusted Reviews

Meta : Métavers, un monde si réel 

Le métavers est un monde numérique dans lequel chaque interaction du monde réel peut-être reproduite. En bref, le métavers s’ouvre à vous depuis votre canapé, il ne suffit pour cela que de porter un casque de réalité virtuelle. Dès lors, c’est tout un monde, c’est tout LE monde qui se rassemble sur un serveur et qui agit et interagit. Un beau projet semble-t-il ; une suite logique diriez-vous, de ce qui était entrepris à grande échelle par le jeune Mark depuis 2006, soit la réunion du globe sur un même service, simultanément et sans contraintes techniques trop importantes. Il en va presque de même pour Meta, car si l’on pense bien que l’achat d’un casque de réalité virtuelle n’est pas encore abordable pour tous, la propagation de ce phénomène entraînerait probablement une diminution du prix du casque, ce qui ouvrirait à encore plus de monde les portes du métavers à long terme.

Pincez-moi je rêve !

Un des points sur lesquels la récente campagne de publicité de Meta s’est appuyée concerne la proximité sensorielle mais aussi structurelle du métavers avec notre monde. Par structurelle, il est entendu le prolongement des activités humaines quotidiennes du monde réel dans le métavers, comprenez la question du travail, des échanges et de l’interaction sociale. Le travail, en créant des espaces de bureaux collectifs facilitant les réunions entre collaborateurs, mais également l’opportunité de trouver un emploi ! Aussi, les échanges marchands seront rendus possibles pour votre avatar, par l’achat de biens identiques à ceux utilisés dans la vraie vie : vous aurez enfin la possibilité d’acheter un superbe t-shirt Joy Division pour votre « vous numérique » (et même pas besoin de se préoccuper du tissu) ! Peut-être vous lanceriez-vous vous-même dans votre propre commerce digital ! Socialement, vous pourrez rejoindre vos amis peu importe l’endroit, afin de profiter de concerts, de faire du sport à plusieurs, de jouer, ou tout simplement de discuter (en ce qui concerne la conclusion d’un date, Mark Zuckerberg n’a pas encore officialisé les paramètres nécessaires à cela sur le métavers… Patience !). En somme, tous les domaines d’activités du monde réel seront rendus possibles au sein du métavers, que ce soit l’éducation, les jeux vidéos, et autres activités sociales.

Mais le second élément qui caractérise la force du projet est celui de l’expérience sensible. A commencer par les avatars, qui seront conçus pour reproduire au plus proche de la réalité les expressions corporelles de chacun. Dans cette direction, les technologies de captations sensorielles sont le cheval de bataille de Meta pour favoriser la proximité et la ressemblance avec le monde réel et ce, dans toutes ses échelles : les corps, les couleurs, les réactions, les contacts physiques, la géographie visuelle et sonore etc. En somme, le monde réel, avec un casque en plus. 

Meta, c’est aussi une entreprise colossale, de par son chiffre d’affaires (29 milliards de dollars au deuxième trimestre 2021), mais aussi de par son effectif. En effet, l’entreprise a l’ambition de recruter dix mille employés, ingénieurs, dans le but de développer le métavers, soit un sixième du nombre actuel de travailleurs qui ne s’occupent que de Facebook (63 000 environ). L’horizon : 2026. La priorité : le métavers. 

Si Meta et son projet semblent être le stade suivant du développement de Facebook dans un monde de plus en plus digital, nous devons impérativement souligner les angles morts ainsi que les dangers que présente le métavers. 

Derrière le casque, des questions et des idéologies. 

Meta restera Facebook

C’est un nouveau départ, promis ! Changement de logo, changement de nom (mais pas de patron) : le changement, c’est maintenant (je crois déjà avoir entendu cela quelque part, mais où…). Enfin, ce genre de slogan laisse toujours à désirer… La mauvaise réputation de Facebook en terme de modération (ce qui lui a valu par le passé bon nombre de scandales et de démêlés judiciaires) pourrait-elle survivre à sa mort et continuer de hanter Mark avec Meta ? C’est ce qu’une note interne relayée par le Financial Times semblait indiquer encore récemment. Le métavers sera-t-il sûr pour ses utilisateurs face au contenu haineux ? Cette interrogation rejoint celles sur la réglementation du contenu, des questions de liberté d’expression et de lutte contre la haine en ligne. Dans un contexte mondial, il semble difficile de pouvoir assurer une certaine cohérence concernant les politiques de modération tout en souhaitant attirer un maximum d’utilisateurs. C’est déjà ce qui est critiqué pour Facebook, notamment par la lanceuse d’alerte et ancienne employée du groupe Frances Haugen, au sujet de la protection des données. Effectivement, qu’en sera-t-il sur le métavers, quand existe déjà un grand flou autour de ces questions pour Facebook ? La fusée Facebook/Meta fonce à vitesse grand V sur un trou noir juridique.

Aussi, quelle étanchéité avec les contenus politiques ? La déstabilisation de la démocratie au profit du gain était déjà monnaie courante sur le réseau social, en témoignent les élections présidentielles aux Etats-Unis en 2016. Qu’est-ce qui empêcherait la propagande politique sur le métavers ? Et conjuguée à cela, la question du traitement de l’information afin d’éviter l’épidémie de fake news qui touche les démocraties malades des réseaux sociaux ? 

Mais peu importe, c’est le prix à payer pour passer à un nouveau stade de l’humanité, celui de la désincarnation, celui de la libération de l’individu de son corps, vis-à-vis des contraintes physiques ou encore de celles de l’Etat. Le métavers, c’est la liberté à l’état pur, où l’on peut être qui on veut, faire ce que l’on veut, ressembler à ce que nous voulons…

Petit week-end à la plage en famille // Crédit photo : szfphy Pixabay

Un rêve devient parfois un cauchemar

Dans cette odyssée numérique que tente de nous vendre Meta, deux trames idéologiques guident de façon sous-jacente l’idée même du métavers. Ce qu’on retrouve dans le métavers, à travers la réalité augmentée et la réalité virtuelle, ce sont le transhumanisme et le posthumanisme. Tous deux partent du même constat : l’incarnation de l’humain, le fait de « faire corps », est une limite au déploiement de son individualité et de ses capacités dans le monde. Ainsi, il faut trouver les solutions, technologiques, pour parvenir à surmonter ces obstacles. Effectivement, faire corps caractérise en partie notre fragilité face au monde (maladies, violence, catastrophes naturelles, vieillesse, mort, barrières physiques etc.). Le métavers fait fi de ces considérations, il est la porte d’entrée insidieuse de ces idéologies prônant la désincarnation, et in fine, la suppression de l’humain.

Le transhumanisme fait de la science et du progrès technologique le vecteur de l’évolution humaine dans cette quête émancipatrice. En soi, l’humanité se rapproche du transhumanisme quotidiennement, que ce soit pour ses déplacements, ou pour faire face aux handicaps (par exemple avec des prothèses, ou encore des lunettes). Mais face à la vieillesse, à la mort, selon la logique transhumaniste, seule la science et la technologie peuvent nous éviter la catastrophe de la finitude !  Nous sommes sauvés, enfin pas tous. Les raisonnements face à la mort et la finitude ne concernent-ils pas principalement ceux jouissant d’une vie à l’abri de toute menace et de toute pénibilité lorsqu’il s’agit à tout prix de vouloir prolonger son existence terrestre ? Car il est bien question de prix : si tout le monde se questionne sur la finitude, seuls ceux pouvant investir dans des projets scientifiques visant au prolongement radical de l’espérance de vie  se situent réellement dans la quête pour l’immortalité. C’est ainsi que nous avons pu lire récemment que Jeff Bezos, patron d’Amazon, a investi dans la société Altos Labs, travaillant sur le vieillissement des cellules souches, visant à terme l’immortalité ou du moins le report du rendez-vous avec la mort. Les inégalités définissent le transhumanisme : seuls ceux ayant les moyens pourront jouir des privilèges technologiques concernés, des technologies les plus avancées aux techniques de “body hacking” (soit l’application de dispositifs technologiques sur le corps afin de créer un humain “augmenté”, comme l’implantation d’une troisième main, de capteurs sensibles plus développés, etc.). 

Le second stade, le stade final, dans cette logique d’émancipation vis-à-vis du corps et d’une séparation totale avec ce dernier, c’est le posthumanisme, véritable transition de l’être humain vers sa version finale, l’humain comme non-humain. Le posthumanisme suit le transhumanisme dans le sens où une fois l’humain suffisamment “augmenté” par les technologies, les nanotechnologies (soit la capacité de manipulation des technologies à l’échelle du nanomètre) permettraient une modification des structures cognitives de l’humain, entre autres. C’est le passage du neurone à la puce électronique. Là aussi, il s’agit d’une affaire de milliardaire, comme nous le prouve le projet d’Elon Musk, à la tête de SpaceX (décidément encore des fusées), autour d’un implant pouvant mesurer l’activité neuronale d’un individu. Le but est simple : une fois la connaissance nécessaire acquise, créer un implant capable de décoder la mémoire et de l’enregistrer sur un serveur. Tout simplement. Mais qui pour en profiter ? Là encore, une majorité de la population se retrouvera écartée de ces avancées technologiques, ne serait-ce que pour une question de capacité de production de masse d’un tel produit et de son coût.

“Chers élèves bonjour, bienvenue à votre cours d’introduction aux sciences humaines” // Crédit photo : Sheila Bennet/Libraries Taskforce

Ainsi, l’ordre social du monde réel va se poursuivre, si ce n’est s’accentuer dans le métavers. Les plus riches seront les plus favorisés par le métavers, étant créé par et pour eux ; par les investissements et pour le profit. Qui pourra se permettre de passer la majorité de sa journée sur le métavers, qui devra rester dans le monde réel, abandonné par une part de l’humanité ? Qui devra continuer de travailler et de faire marcher le vrai monde, soit un nouveau marqueur de ségrégation sociale ? Et oui, se libérer totalement du monde n’est pas une affaire de la majorité de la population, mais surtout une affaire de riches. 

Leur course aux profits et au progrès technologique est notre course pour l’humanité 

Évidemment, nous ne pouvons que spéculer à ce stade de développement du projet pour savoir quelle forme exacte prendra le métavers, mais nous en connaissons déjà ses fondements idéologiques et sociaux-économiques. Le caractère inédit de ce projet donne néanmoins l’avantage aux futurs réactionnaires que deviendront les défenseurs du monde réel pour réfléchir notre environnement commun et nos actions en son sein. Repenser les relations est une injonction que fait notre humanité vis à vis de nous-même. Richard Branson disait que l’une des clés du succès entrepreneurial était l’identification d’un besoin dans le marché. Ici, il est évident que le métavers a identifié ce besoin : notre reconnexion avec les autres. Le contexte de la naissance du projet n’a rien d’anodin : après des mois de confinement et de télétravail, la société a fait l’expérience collective de la dématérialisation des activités professionnelles et sociales. Alors pourquoi ne pas pérenniser cette tendance ? Il n’est pas question ici d’établir une critique du télétravail, mais de savoir si nos perspectives de vie doivent s’articuler autour du numérique ou non. Tout n’est pas à rejeter, notamment ce qui est permis par ces technologies autour de l’éducation et de la démocratisation du savoir par exemple. Les outils numériques doivent ainsi venir soutenir le développement de l’humanité dans son environnement et non l’inverse. Il est courant d’entendre les critiques plus ou moins justifiées de la sur-utilisation des outils numériques dans nos vies quotidiennes et de ses conséquences, mais qu’en sera-t-il lorsque nos vies quotidiennes seront devenues trop dépendantes vis-à-vis de ces outils ? Car la question de la dépendance est à notre stade du développement numérique encore relative : elle s’apparente surtout à une bulle spéculative, nous croyons être plus dépendants aux outils numériques que nous le sommes réellement dans notre quotidien. Notre évolution dans le monde demeure soutenue par l’innovation technique et les technologies forgées dans ce but ; le danger serait que cette évolution le soit prochainement de façon substantielle à certaines technologies comme le métavers. Comment imaginer le monde du travail et sa régulation sur une plateforme numérique ? Comment assurer l’évolution de l’humanité lorsque celle-ci repose dans son déploiement sur des plateformes privées ? Nous pouvons également remettre en question la réelle nécessité de ses outils : ce t-shirt Joy Division acheté sur le métavers serait bien plus beau porté en vrai ! Mais le marché des nouvelles technologies est énorme, et l’espace étant déjà pris d’assaut, il ne reste à Facebook que celui des interactions sociales. 

Un autre danger existentiel du développement du métavers est celui du développement parallèle des mauvais jeux de mots autour de son nom (métaveste, métacapuche… quelle horreur…) et cela a déjà commencé. 

Le nouveau muséum de l’histoire naturelle de la vie humaine vient d’ouvrir ses portes // Crédit photo : Adam Cohn, Flickr

Plus sérieusement, la logique néolibérale qui anime le métavers doit nous faire prendre conscience que c’est notre humanité qui est marchandée. Quelle sera la limite à la préservation de nos corps comme institutions de l’incarnation de notre humanité dans notre monde ? Le néolibéralisme du métavers nous promet de façon illusoire un futur où l’entrave à notre enrichissement personnel n’existe plus, où l’Etat n’a pas son mot à dire et où tout est possible. Répétons-le, de façon illusoire…

Si le projet de Meta n’est encore qu’au stade de la genèse, je vous conseille vivement de regarder sa présentation sur YouTube. Elle dure un peu moins de temps qu’un film et le jeu d’acteur n’est pas excellent, mais nous donne un bon aperçu de la créativité de Mark Zuckerberg, au lendemain d’une soirée un peu trop arrosée… Si cela fait moins rêver que la fusée, rappelons-nous tout de même que le mode avion reste toujours une bonne solution pour vivre pleinement notre journée, humains que nous sommes. En attendant, permettez-moi de vous laisser, ma session surf avec Bernard Arnault doit continuer.

Arthur BP

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