Tribune : La méritocratie, une nouvelle aristocratie.

  Si tu veux, tu peux !

Aide-toi et le ciel t’aidera !

Bravo, tu le mérites ! 

                                                                    Travaille dur, tu seras récompensé !

La méritocratie est aujourd’hui ancrée dans notre société. La France ne cesse de se proclamer comme le pays même de la méritocratie : bourse au mérite, programme d’égalité des chances ou encore concours pour accéder aux grandes écoles, tout semble être fait pour permettre aux jeunes venants de milieux peu favorisés d’effectuer la fameuse ascension sociale. Paradoxalement, la France est aussi le pays de la reproduction sociale comme le souligna Najat Vallaud-Belkacem, l’ex-ministre de l’Éducation. 

La méritocratie qu’est-ce que c’est ?

C’est l’idée que peu importe d’où tu viens, de tes conditions initiales, ton travail et tes efforts seront récompensés. En ce sens, chacun mérite le rang qu’il a dans la société. Alors, les gagnants, c’est-à-dire les élites auraient fourni plus d’efforts et plus de travail que les autres. Et, les pauvres seraient les seuls fautifs de leur pauvreté, car s’ils avaient fait des efforts, s’ils n’avaient pas été paresseux, ils n’auraient pas eu cette vie. Chacun est responsable de sa condition, puisque tout le monde a sa chance : le jeu est ouvert et il est de la responsabilité de chacun de se hisser au sommet de la hiérarchie. 

Le mérite repose sur les efforts fournis et les compétences. Et c’est à l’école que revient la mission de trier “les méritants“ de ceux qui ne le sont pas. Le mérite se manifeste donc par une excellence scolaire. Cette institution est censée offrir les mêmes chances à chacun, et ainsi assurer une juste compétition, une égalité des chances. 

Mais, l’école est aujourd’hui accusée de manquer à son devoir, et être le fondement de la reproduction sociale. Comme l’avaient montré Bourdieu et Passeron, l’école n’est pas neutre (cf. Bourdieu et Passeron, Les Héritiers, 1964). Les enfants appartenant aux classes sociales dominantes, sont plus à même d’y réussir. Ceux-ci, dès le plus jeune âge, ils acquièrent la « culture légitime », des dispositions de langage, une certaine facilité à l’écrit, de ce fait, pour la majorité, ils sont à l’école comme des poissons dans l’eau. À l’inverse, pour une majorité des enfants issus de milieux populaires, l’école apparaît comme une épreuve. Comme le soulignait Annie Ernaux « l’école arrache les enfants des classes dominées à leur monde d’origine » : dès le plus jeune âge, on leur apprend à l’école des codes, une culture différente de la leur, et ceux-ci doivent rapidement comprendre qu’une grande partie de ce qu’ils connaissent, ne vaut rien à l’école, car cela ne fait pas partie de la « culture légitime ». Ces enfants, ont d’emblée des efforts supplémentaires à fournir. Ainsi, l’écrémage commence dès le plus jeune âge, dès le CE2, les enfants des classes sociales les plus favorisées maitrisent beaucoup mieux le français et les mathématiques que ceux issus des classes les moins favorisées.

Taux de maîtrise du français et des mathématiques en CE2 selon l’indice de position sociale

Unité : %
FrançaisMathématiques
Premier quart*58,156,6
Deuxième quart71,269,2
Troisième quart79,378,3
Quatrième quart87,384,6
Source : ministère de l’Éducation nationale – Données 2017 – © Observatoire des inégalités

* Indice de position sociale le plus bas.

Par ailleurs, de plus en plus d’articles, dénoncent le manque de considération de l’État pour les banlieues. Il semble que les politiques d’éducation prioritaire ne règlent pas grand-chose, comme le soulignait la philosophe Judith Ravel : « On ne sortira jamais du problème des banlieues si l’on ne se résout pas à donner aux banlieues ce qu’il y a de mieux en matière d’éducation, de formation, de services, etc ». En effet, c’est en banlieue que nous retrouvons le plus de professeurs « contractuels », c’est-à-dire les enseignants titulaires d’une licence n’ayant passé aucun concours d’enseignant : ils représentent 13% du personnel enseignant dans les établissements défavorisés contre 5,5% dans ceux favorisés.

S’ajoute à cela une forte présence de professeurs peu expérimentés dans les quartiers défavorisés. Ainsi en Seine-Saint-Denis, un professeur sur deux a moins de 35 ans. Et, comme montré plus tôt, certains élèves ont plus d’obstacles à surmonter que d’autres, de ce fait, les professeurs doivent s’adapter, et peinent ainsi à boucler les programmes. Pendant ce temps, certains établissements de quartiers favorisés ou certains établissements privés, où il y a des professeurs plus expérimentés, agrégés (on note 17% de professeurs agrégés dans les collèges parisiens pour une moyenne de 7,4% dans toute la région Île-de-France), commencent le programme des classes préparatoires dès la classe de première. 

Tout cela débouche sur une forte disparité entre les personnes issues des classes populaires et celles issues des classes favorisées, à mesure qu’on avance dans les études supérieures. 

Origine sociale des étudiants à l’université par cursus
Unité : %
LicenceMasterDoctorat
Agriculteurs1,71,81,6
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise8,27,76,3
Cadres31,139,641,0
Professions intermédiaires15,113,310,8
Employés17,612,18,4
Ouvriers13,19,26,5
Retraités, inactifs13,316,325,4
Ensemble100100100
Source : Ministère de l’Éducation nationale – Données 2017-2018 – © Observatoire des inégalités

Les Grandes écoles qui sont le symbole même de la méritocratie en France, car l’accès se fait sur concours anonyme, représentent aujourd’hui un instrument majeur de la reproduction sociale. La réussite au concours est censée dépendre des efforts individuels mais on observe que plus ils sont sélectifs, plus ils demeurent « la chasse gardée des biens nés ». Ainsi, dans la promotion 2019-2020 de l’ENA sur 82 élèves, un seul a un père ouvrier. D’ailleurs, depuis 1947, le taux d’enfants d’ouvriers n’a jamais excédé 5,5% dans cette grande école.

Il est dès lors légitime d’émettre des interrogations sur tous les programmes d’égalités des chances ou de discrimination positive mis en place. Ceux-ci permettent certes de sortir quelques « miraculés » de leur milieu social, mais ne suffisent en rien à limiter la reproduction sociale. De plus, ils ont politiquement un effet pervers : celui de servir de « bonne conscience » aux défenseurs d’une organisation sociale inégalitaire dont ils bénéficient et à laquelle ils doivent le fait d’être « les gagnants du jeu ».

Alors, cela fait-il vraiment sens de parler d’effort ou de goût de travail, dans un contexte où, pendant que certains enfants peinent encore à apprendre le français, d’autres suivent déjà des cours particuliers d’anglais ? Où certains, reçoivent de leurs parents toutes les dispositions corporelles, linguistiques étant considérées comme bonnes, pendant que d’autres doivent les apprendre via l’école ? Ce système favorise grandement la reproduction sociale des élites. En effet, les fils de cadres deviennent cinq fois plus souvent cadres eux-mêmes que ceux d’ouvriers.

mobilitesociale2014_insee

La méritocratie, est aujourd’hui accusée d’être la nouvelle aristocratie; car celle-ci, par le moyen du diplôme, assure aux élites de se perpétuer, dans un contexte où le poids du milieu social est bien plus fort que le poids de « l’effort ».

Ce système est bien utile pour justifier les inégalités. Et ces justifications ont été intériorisées par un grand nombre d’individus : « si j’avais mieux travaillé à l’école, je n’en serais pas là », « j’aurai dû faire plus d’efforts à l’école », « c’est normal, ils ont travaillé dur pour en arriver là », « ils n’avaient qu’à mieux travailler à l’école ». Ce système permet de maintenir un ordre, car en laissant croire que le « jeu est ouvert » et que seuls les efforts et le travail acharné permettent de se hisser au sommet de la hiérarchie, les personnes les plus défavorisées pensent que s’ils ont cette condition, c’est parce qu’ils n’avaient pas le « sens de l’effort » comme le dirait Macron. 

« Chaque société invente un récit idéologique pour justifier ses inégalités »

Thomas piketty

Plusieurs études montrent que, dans les pays où l’on pense vivre dans une société récompensant le mérite, les inégalités sont le plus acceptées (F. Dubet, M. Duru-Bellat et A. Vérétout, Les Sociétés et leur école, Le Seuil, 2010). Ainsi, ce mythe plonge les perdants dans une sorte d’amertume envers eux-mêmes, et confère aux privilégiés un sentiment de légitimité face à leurs richesses. 

« La méritocratie est le principe selon lequel les inégalités sont acceptables, voire justes, dès lors qu’elles découlent des talents et des efforts des personnes, en un mot de leur mérite. »

Marie Duru-Bellat

Cela ne veut pas dire que les personnes faisant partie des élites sont arrivées là où elles en sont aisément, ou que l’ascension sociale n’existe pas. Seulement, la méritocratie ne doit pas servir de justification aux scandaleuses inégalités de revenus en France. Ainsi, il ne faut pas tomber dans l’hypocrisie de dire que tout n’est qu’uniquement question de volonté, comme si ceux qui n’avaient pas réussi étaient moins méritants et qu’en ce sens, il était normal qu’ils aient des revenus et des niveaux de vie très largement inférieurs : puisque le facteur origine sociale semble bien plus déterminant que le facteur effort. Et, même s’il y a quelques miraculés, cela ne signifie pas que ceux qui n’y sont pas parvenu n’avaient pas la volonté d’y parvenir. Le système méritocratique ferait sens, si tous les individus partaient du même niveau, et que le milieu social n’était pas une donnée influant sur la réussite scolaire.

Par Plume anonyme

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