Doucement, Noël se faufile dans les conversations. Plus que 18 jours (!) pour écumer les marchés à la recherche du cadeau idéal (à la fois pas trop cher, sympa, engagé, éthique, cruelty free, Made in pas trop loin, anti stéréotypes de genre…), pour organiser son emploi du temps afin de voir toute la famille en moins de 48 heures ou pour acheter la délicieuse bûche qui ravira tous les convives.
Enfin j’imagine… parce qu’au milieu de cette frénésie alimentée par un bedonnant monsieur barbu (qui a volé la vedette à un autre chevelu dont c’est pourtant l’anniversaire), certains et certaines d’entre nous vivent tranquillement loin de ces préoccupations, puisque Noël, ils ne le fêtent pas. Oh, ne faites pas ce triste sourire plein de compassion, tout prêt que vous êtes à m’offrir des chaussettes en pilou pour rattraper ces Noëls perdus. Le 24 décembre, moi, ça ne m’intéresse pas.
En réalité, en ce 2 Tevet 5782 se termine H’anouka. Trop souvent considéré comme un Noël-de-huit-jours-pour-les-Juifs, H’anouka est une fête d’institution rabbinique (c’est-à-dire qu’elle n’est pas inscrite dans la Thora elle-même) qui commémore le “miracle de la fiole d’huile”. Cette fiole retrouvée dans le Temple après sa fermeture et son saccage par les Séleucides, semblait à peine suffisante pour tenir une journée mais aurait miraculeusement permis d’illuminer le “Beit ha-Mikdash” pendant 8 jours. Si, à force de rêver aux PetShop (tmtc) ou à la voiture télécommandée que me promettait le catalogue Jouéclub, j’ai quelquefois considéré H’anouka comme un prétexte pour recevoir moi aussi des cadeaux en décembre, cette fête raconte en vérité l’histoire de la résistance juive à l’assimilation hellénistique.
Dans une France laïque qui fait du religieux une affaire de croyance personnelle, cette réflexion sur l’assimilation n’a rien perdu de son actualité. Si la religion relève du domaine privé, comment l’envisager dès lors que la pratique religieuse recule au profit d’une approche culturelle, préférant les traditions ou le récit historique à la fréquentation des lieux de culte ? Faut-il encore parler de religion lorsque la campagne “C’est ça la laïcité” de l’Éducation nationale, qui aurait dû se référer à la neutralité de la puissance publique, garante de la liberté de conscience (comme stipulé dans la loi de 1905), semble confondre laïcité et homogénéisation culturelle ? Comme le note l’historien et sociologue Jean Baubérot, en présentant sur ses affiches des enfants issus de la diversité, aux prénoms à consonance étrangère, “on peut se demander si la campagne ne souhaite pas montrer que la laïcité permet d’uniformiser et d’homogénéiser des enfants issus de cultures différentes. Une idée totalement fausse.”
Si aujourd’hui le débat relatif à la laïcité fait rage, il semble petit à petit faire de la religion un prétexte pour évoquer la diversité culturelle. Ainsi, où se situe la limite entre universalisme républicain et fantasme concernant l’identité française ? Faut-il croire, comme le pense un certain candidat à la présidentielle, que “seule l’assimilation permet la laïcité” (étrange proximité avec la campagne de l’Education Nationale…) ? Ou encore mieux, que “seule l’assimilation à la culture et aux mœurs et à l’histoire françaises, imprégnées de catholicisme et de culture gréco-romaine, permet de comprendre, d’approuver et d’appliquer les règles de la laïcité” ?
Bien que tous les défenseurs de la laïcité n’opèrent pas cette confusion grossière entre religion et culture (fort heureusement pour nous), le passage du religieux comme pratique au religieux comme élément de l’identité culturelle, ne fait que complexifier le débat. Ainsi s’ouvre une réflexion sur la véritable ambition portée par la laïcité, telle que défendue par les “libres penseurs” de la Troisième République : outil de combat contre l’ingérence de l’Eglise dans les affaires d’Etat ou élément de définition de la citoyenneté française, se voulant exempte de toute référence religieuse ? On voit bien le problème qui se profile si pratique religieuse et donc “Eglise” s’affaiblissent et que ne reste plus, dans la notion de religion, qu’une référence culturelle : la laïcité peut être instrumentalisée et devenir un outil de combat contre la diversité.
La fête de H’anouka vient nous rappeler qu’il faut résister pour échapper à l’homogénéisation, que la citoyenneté ne doit pas effacer les particularités individuelles, que dans une société qui voudrait que tu mettes des guirlandes sur ton sapin de Noël, tu peux aussi décider de manger des beignets.
Joyeux Noël !
de la part de Bettina Lobel