Mon pote Manu : l’humanisation des personnages politiques

Tout d’abord, je voudrais préciser que je ne m’y connais que très peu en politique, et que d’habitude, cela m’intéresse assez peu. Écouter des débats dont le but est juste de couvrir la voix de l’adversaire, et émettre des promesses qui ne seront jamais tenues, me paraît un peu ridicule.

Mais l’autre jour, passant dans mon salon, je vois ma mère regarder Une ambition intime sur M6, une émission présentée par Karine Lemarchand, qui interviewe des personnages politiques français, sur leur enfance, leurs passions, leur famille… leur vie privée en fait. Je m’attendris soudainement devant les petits chats trop mignons de Marine Le Pen et une furtive pensée me vient : une personne qui aime les chats, ça ne peut pas être bien méchant.

Catastrophe ! Je me suis fait avoir. Les petits chats ont bien trop de pouvoir sur moi.

Je me suis alors posé une question : Est-ce une bonne chose d’humaniser les personnages politiques ?

J’ai souvent eu tendance à les imaginer comme des personnages abstraits, comme un grand chercheur qu’on idéalise jusqu’à ce que Monsieur Schreiber raconte qu’en 2006 il a pris un café avec et que, quand même, il est un peu susceptible. Quand on y réfléchit, ce sont des gens plus ou moins comme tout le monde. Je vous assure : Macron a raté deux fois le concours d’entrée à l’ENS après une B/L à Henri IV, donc quelque part, on est arrivé là où il n’est pas parvenu… (si on omet le fait que nous sommes des imposteurs hébergés sans concours).  

Ça fait bizarre de voir ces personnages, qui communiquent d’habitude sur la gouvernance du pays, parler de leur fromage préféré (comme Valérie Pécresse) ou de leur maternité (Marlène Schiappa). L’émission joue beaucoup sur l’émotionnel : Anne Hidalgo nous parle de son enfance dans une famille pauvre immigrée, Marlène Schiappa et Rachida Dati de leurs origines ouvrières, Valérie Pécresse de ses difficultés parentales, le tout sur fond de piano mélancolique, pour faire pleurer dans les chaumières.

Ne serait-ce pas pour gagner notre sympathie ? Serait-ce de la propagande ?

Notons d’abord que tous les bords politiques y passent, ce qui laisse supposer une certaine objectivité. L’effet sur le spectateur va plutôt dépendre de l’aisance du politique interrogé. Un article des Inrockuptibles en 2016 intitulé Et si Ambition Intime avait fait gagner Fillon ? pose tout de même la question de l’influence sur les votes. Karine Le Marchand affirme : « Avant l’élection, on disait qu’il serait à la troisième ou quatrième place ». Pourtant, il gagne haut la main la primaire de la droite avec 44,1 %. Quant au concerné, il déclare dans Le Parisien : « Les téléspectateurs ont découvert que j’avais d’autres passions dans la vie que la politique ». Il pense avoir bénéficié d’une « dynamique très puissante » autour de lui suite à l’émission. Il ne faut pas oublier que les sondages sont souvent loin des résultats des élections, et que l’émission n’a pas non plus une audience monstrueuse (2,6 millions de téléspectateurs pour l’émission sur Fillon). Mais il n’est pas exclu que Fillon, très à l’aise dans l’émission, ait gagné de cette manière les voix de quelques influençables. 

On a beaucoup reproché à Emmanuel Macron ses opérations de communication ayant pour but de parler à la jeune génération, comme ses annonces sur Tik Tok et sa vidéo de concours d’anecdotes avec McFly et Carlito. Les deux vidéastes se sont appliqués à préciser que ce n’était pas une opération de propagande. Au début de la vidéo, on entend en parallèle Carlito avertir « ne votez pas pour quelqu’un parce qu’il vous semble sympathique » et une journaliste annonçant « une aubaine pour le Président ». Même si ce n’était pas un acte politique assumé, l’effet sur l’image de Macron auprès des jeunes est indéniable : si certains l’ont accusé de propagande et l’ont trouvé ridicule, la vidéo dédramatise la figure du Président qui, dans un contexte de crise sanitaire, apparaît comme restrictive, voire oppressive pour certains. A l’opposé de ses expressions et des gestes statiques de ses allocutions, on voit Emmanuel Macron sourire, rire, jouer. On sent néanmoins qu’il a certaines limites à ne pas franchir : il garde une position stable, ancrée dans le sol, souvent les bras croisés. On remarque aussi que ses anecdotes, vraies ou fausses, se concentrent beaucoup sur la culture populaire, notamment le foot, la musique Afrobeat, et de la part de Mcfly et Carlito, le métal. L’objectif est évident : parler au public de McFly et Carlito, un public jeune, en se montrant proche de leurs intérêts.

Mais en vérité, attirer les votes par la sympathie est un concept qui n’est pas tout récent : à la mort de l’ancien président Jacques Chirac en 2019, tous ses portraits retenaient avant tout sa sympathie, son caractère jovial ; de même pour le charisme de Barack Obama. Selon un article du Huffington Post publié en 2012 intitulé Obama, le triomphe du charisme, les qualités requises chez l’homme politique actuel se rapprocheraient de celles de l’orateur de la Grèce antique selon Aristote : ethos, la perspective morale, pathos, le pouvoir de susciter des émotions chez son public, et logos, une rhétorique puissante qui use d’arguments logiques.

Tout homme politique a une vie personnelle, plus ou moins dissimulée. Des émissions comme Secrets d’histoire s’attachent, concernant des personnages historiques (et pour beaucoup, politiques) à retracer le parcours d’une vie, privée comme publique, à raconter la petite histoire dans la grande Histoire. Cela pose moins de problèmes puisque ce sont des personnages du passé : ce qu’on raconte d’eux n’influe pas, ou très indirectement, sur le monde actuel. Mais finalement, ce sont les mêmes mécanismes : détacher le politique de la sphère publique pour le rendre plus humain, plus compréhensible.

Ce n’est donc pas, comme beaucoup l’ont prétendu, une récente « décadence », mais au contraire un phénomène qui perdure. Il est vrai que la manière de gouverner et d’utiliser les médias évolue ; qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un enjeu majeur au service de la communication, la persuasion, l’image publique. Mais le principe reste le même, c’est le support qui change.

Je pense qu’on peut affirmer que beaucoup de Français ne votent pas pour le programme, mais pour la personnalité, le charisme, la sympathie. On ne peut pas en vouloir aux politiques d’utiliser ces techniques, c’est au peuple de se détacher de l’affect et de voter en connaissance du programme. On oublie trop souvent au moment de la course aux élections que l’homme politique n’est pas qu’un orateur qui mène une campagne, mais aussi une personne qui devra assumer des fonctions de gouvernement : il faut donc savoir se détacher le mieux possible de ces techniques de persuasion et réfléchir à ce que nous voulons concrètement pour l’avenir du pays. La sympathie, l’humanité, même si elles permettent d’obtenir la confiance, ne suffisent pas : le sérieux, les compétences et les idées doivent primer.   

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