Lettres de Poilu (1916)

Verdun, 21 juin 1916

Ma chère Lucie, 

    J’ai reçu ce qui est sûrement ta dernière lettre. Après l’avoir lue et relue, j’ai enfin pris ma décision.

    Ma douce Lucie. Mon amour. Grâce à toi, à ces moments passés ensemble, je n’ai pas perdu la raison. Comme tu me l’as conseillé, je m’accroche à ces souvenirs, ils sont ma lumière et mon espoir. Mais si tu n’es plus, tout cela devient absurde, plus rien n’a de sens. Certes, je pourrais continuer à me battre pour chasser la Mort du champ de bataille, mais à quoi bon si, à mon retour, personne ne m’attend parce qu’Elle t’aura enlevé à ton tour ? À quoi bon me battre si je me retrouve définitivement seul ?
    Alors j’ai décidé de mourir.
    Mourir par amour est une bien belle fin par rapport à l’enfer que nous vivons tous les deux, n’est-ce pas ?
    Mourir pour te retrouver et échapper à cette guerre. Je pense que c’est le seul moyen pour moi de trouver un peu de paix.
    J’ai partagé cette pensée avec mes camarades. Ils ont cru que la folie m’avait dévoré et ils m’ont répondu que la plus belle fin était de mourir pour sa patrie. Toujours le patriotisme ! Ne rendent-ils pas compte des actes qu’ils commettent? Ou alors sont-ils tellement désespérés qu’ils s’accrochent à cette valeur comme dernier moyen de se déculpabiliser? Mais cela m’importe peu, cette notion m’est étrangère.

    Ah ! ma Lucie, je n’en puis plus. Tuer, même pour la protection d’autrui, est contraire à mes principes, chaque Boche qui tombe de ma main emporte une partie de mon âme avec lui. Cette guerre me tue, et je ne me reconnais plus. Je me sens tellement mal.
    Pardonne-moi, ma Lucie, pardonne-moi !
    Si tu savais comme je regrette de t’avoir quittée, ce matin-là, le cœur rempli de tristesse, pour aller à la guerre. J’aurais dû être à tes côtés lorsque la maladie a commencé à te ronger. Mais n’aie crainte, tout cela sera bientôt terminé. Cette douleur qui nous accable, pour toi physique et moi psychologique, nous réunira bientôt dans les cieux.

    Alors, rejoignons-nous dans l’au-delà. J’espère que tu recevras ma lettre au plus vite.

    Mon amour, je t’aime plus que tout.
    J’ai hâte de te revoir.

Marc Deschaux

Caporal, 146e régiment d’infanterie

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