Verdun, 17 mars 1916
Ma chère Lucie, Chaque minute, chaque seconde passée aussi loin de toi est la pire des souffrances que l’on puisse m’infliger. Cette bruine lancinante et quotidienne me fait regretter la rosée matinale qui couvrait les feuilles de notre jardin. Si tu savais, ô combien, ma vie à tes côtés me manque. J’aimerais tant que tu me serres dans tes bras, moi qui ai si froid. J’aimerais tant entendre ta voix douce, moi qui suis à moitié sourd. Chaque jour, chaque nuit, les obus pleuvent sans discontinuer. Je vois tomber un à un mes camarades, mitraillés par l’ennemi ou déchiquetés par l’un des obus. Je dors à peine quelques heures par nuit. Je suis sans cesse réveillé par des gémissements, des cris, des hurlements de douleur, par le froid qui parvient à se glisser sous ma maigre couverture, par la Mort qui rôde sur le champ de bataille. À notre plus grand désarroi, nous avons été victime, il y a de cela cinq jours, d’une invasion de rats et de poux. Notre hygiène, déjà déplorable, s'en est retrouvée plus malsaine encore. Les tranchées boueuses, les vêtements humides, le paysage sans couleur et l’odeur nauséabonde de putréfaction nous sont à présent familiers. Je me sens sale. Ce que je fais me dégoûte plus que notre hygiène. Je rêve de revenir à tes côtés. J’y pense à chaque fois que j’ai un peu de répit. Donne-moi vite de tes nouvelles. Je t’aime,
Marc Deschaux
Caporal, 146e régiment d’infanterie