La fin de la littérature-alibi : l’exemple Matzneff

Ce mercredi 11 octobre a eu lieu la sortie du film Le Consentement de Vanessa Filho, adaptation cinématographique de l’ouvrage autobiographique Le Consentement de Vanessa Springora. Ce dernier est un ouvrage autobiographique où l’autrice raconte comment elle s’est retrouvée sous l’emprise de l’écrivain Gabriel Matzneff en 1986, alors qu’elle avait 13 ans et lui presque 50. Elle y explique comment elle a été victime d’une triple prédation : sexuelle, littéraire et psychique.

« Le Consentement » le dernier livre de Vanessa Springora © Maxppp – Christophe Petit Tesson

Dans le monde de la littérature, l’art et l’écriture ont souvent été glorifiés pour leur capacité à stimuler l’imagination, à encourager la réflexion et à créer un espace pour l’expression personnelle. Or, à chaque médaille son revers. Cet art puissant a parfois été utilisé comme un voile subtil afin de camoufler des actes répréhensibles.
Gabriel Matzneff est un écrivain français multi-récompensé et controversé, né en 1936. Il commence sa carrière dans les années 60 et est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Matzneff est principalement connu pour son comportement de prédateur et son implication dans des actes de pédophilie. Il a gagné en notoriété en écrivant ouvertement sur ses relations sexuelles avec des mineurs comme dans Les Moins de Seize Ans ou encore Mes Amours Décomposés. Dans ces ouvrages, il décrit de manière explicite ses relations sexuelles avec des adolescents, dépeignant ces expériences illégales comme des expressions d’amour et de liberté. Matzneff a aussi revendiqué ses activités pédophiles dans de multiples interviews, comme sur le plateau d’Apostrophes en 1975, ou encore en 1982 dans l’émission En Toutes Lettres. Or, dans le monde feutré des intellectuels parisiens de l’après mai 68, il est interdit d’interdire. Cette période est marquée par un climat de libération sexuelle. Promouvoir la liberté d’expression et encourager la réflexion critique passaient par les transgressions des normes sociales qui étaient considérées comme « essentielles ». De plus, la figure de l’écrivain provocateur était celle du romantique, il était celui allant contre les normes établies. Les écrits hors normes contribuaient à la glorification de sujets tabous. Pourtant, déjà à cette époque, la pédophilie est interdite par la loi.

Le 2 mars 1990, Gabriel Matzneff est de nouveau invité dans l’émission Apostrophes où encore une fois, il fait l’apologie de la pédophilie en assumant son attirance pour les mineurs. Sur le plateau, l’écrivaine canadienne Denise Bombardier est la seule à s’insurger :

« Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodomise des petites filles de 14 ans, 15 ans, que ces petites filles sont folles de lui… On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un monsieur qui a une certaine aura littéraire, d’ailleurs on sait que les vieux messieurs attirent les petits enfants avec des bonbons. Monsieur Matzneff, lui, les attire avec sa réputation. »

Denise Bombardier

Cette intervention mémorable a suscité un vif débat public. Enfin, se posait la question de la responsabilité morale des écrivains. Où mettre les limites de la liberté d’expression autour de sujets sensibles tels que la pédophilie ? Cela a contribué à mettre en lumière les lacunes dans la société en matière de protection des enfants et de prise de conscience des abus sexuels. 

Au fil des décennies, la société s’est rendue compte des graves conséquences de la tolérance passée envers l’apologie de la pédophilie dans le milieu littéraire. Les progrès dans la sensibilisation aux questions de consentement, de protection des mineurs et de responsabilité ont contribué à un changement radical dans la perception de ces sujets sensibles. Les dénonciations publiques courageuses comme celles de Vanessa Springora ou de Karl Zéro dans son documentaire 1 sur 5, en plus des critiques éthiques accrues, ont poussé les auteurs et les lecteurs à faire preuve de discernement et de responsabilité envers le contenu littéraire.

La pédophilie est une abomination. Elle laisse des cicatrices indélébiles sur les victimes, impactant profondément leur santé mentale, émotionnelle et physique. Les conséquences dévastatrices de ces abus peuvent se manifester sous la forme de traumatismes durables, de troubles psychologiques, de difficultés relationnelles et d’une altération profonde de la confiance en soi. Dans son livre, Vanessa Springora témoigne des difficultés qu’elle a eu à établir des relations saines et stables. Elle évoque aussi les répercussions à long terme sur son bien-être et sa qualité de vie. La présence persistante de la pédophilie dans la société souligne l’urgence de prendre des mesures plus fermes pour protéger les enfants et offrir un soutien adéquat aux victimes.

Pour garantir un “demain” où la littérature est créative et responsable, il est impératif que les écrivains cessent toute tentative de manipulation des récits pour légitimer la criminalité. La promotion d’une culture littéraire qui encourage la créativité responsable, la critique constructive et la sécurité des jeunes lecteurs demeure une priorité cruciale pour les communautés littéraires et la société dans son ensemble.

« La littérature ne peut pas servir d’alibi. Il y a des limites, même à la littérature »

Denise Bombardier

Maria Jermoumi

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