Conjurer le silence et l’oubli, lutter contre la déshumanisation

« Ma mère est née à une époque où prononcer le mot Palestine était interdit », écrit Lina Soualem dans son documentaire Bye Bye Tibériade, en salles depuis mercredi 21 février. Elle y retrace l’histoire d’un peuple qui a longuement été – et est aujourd’hui, de nouveau, brutalement – soumis à la violence, au silence et à la déshumanisation.

Avec une infinie tendresse et poésie, elle rassemble, sur plusieurs années, les pièces de l’histoire complexe et douloureuse des trois générations de femmes qui l’ont précédée. Um Ali, son arrière-grand-mère, expulsée de Tibériade en 1948 et contrainte à l’exil, ses filles Neemat et Hosnieh, séparées toute leur vie, puis Hiam, mère de Lina. Elle se dédie pour cela à un long travail d’archives : des lettres, des images de films tournés durant son enfance, alors que sa mère l’emmenait auprès de sa famille en Palestine, des témoignages et des questions auxquelles il n’existe pas toujours de réponse facile.

Sa mère, Hiam Abbass, qui se trouve au cœur du récit et du dialogue, le soir de l’avant-première, a pris la parole : « Je l’ai fait avec mon cœur, il m’a arraché le cœur, ce film, et de mon cœur je l’offre au vôtre ». Née dans le petit village palestinien de Deir Hanna, alors sous contrôle de l’armée israélienne, Hiam a vécu son adolescence soumise à un double enfermement : l’interdiction par les autorités de traverser les frontières et l’injonction par sa famille à respecter les traditions.

Quarante ans après son départ, sa fille Lina – dont la naissance avait permis un premier renouement avec sa famille – se fait à nouveau maillon de la chaîne entre présent et passé. Par le cinéma, Lina Soualem tente « d’enrayer la perte continuelle » des vies, des mémoires et des histoires. Elle retrace l’histoire des femmes de sa famille, de leurs exils forcés et de « ces humanités qui tiennent malgré l’Histoire ». Il lui fallait, explique-t-elle devant la salle pleine de spectateurs et d’émotion de l’avant-première, rendre immortels les lieux qui pourraient disparaître, les liens qui unissent les quatre générations de femmes – dont elle est la dernière – et leurs histoires silencées. (L’anglicisme fait sourire et est aussitôt adopté.)

Bye Bye Tibériade touche à ce qui est notre dénominateur commun : le questionnement et la quête de son identité, la famille, la perte, le retour en arrière et les retrouvailles. C’est une œuvre d’une très grande sensibilité et, surtout, pleine d’espoir : au-delà de l’histoire palestinienne, elle illustre la capacité des femmes et des hommes à « surmonter l’Histoire » et à trouver une manière de se réinventer et se reconstruire.

Ce documentaire, enfin, est une voix puissante qui, sans se faire incriminatrice, rappelle au monde l’humanité d’un peuple que l’on a tenté d’effacer. Le cinéma de Lina Soualem est une arme d’une profonde humanité, une réponse à la violence et au silence. Dans le contexte actuel qui fait tristement écho à celui de 1948, il est absolument nécessaire.

Louise Moussu

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