Il y a de cela quelques jours, j’ai aperçu sur internet une publicité qui mettait en scène un Père Noël gay. Je réalisais alors que je n’avais jamais vraiment questionné la figure du Père Noël. Au fur et à mesure de mes réflexions, je me rendais compte que le Père Noël pouvait être analysé à travers une approche intersectionnelle puisqu’il cumulait de nombreux privilèges.
La figure du Père Noël nous vient de la tradition chrétienne ainsi que de folklores païens. Pour revenir à la tradition catholique, il aurait pour origine le personnage de Saint Nicolas, lui-même inspiré d’un évêque du IIIème siècle.
La légende raconte que pendant l’hiver, trois enfants, partis glaner dans les champs, se perdent sur le chemin du retour. Attirés par la lumière d’une maison, ils s’approchent et frappent à la porte. L’homme qui leur ouvre, Pierre Lenoir (Peter Schwartz dans la culture germanique) est un boucher qui accepte de les héberger une nuit. Mais sitôt les enfants entrés, il les tue et les coupe en petits morceaux avec son grand couteau avant de les mettre dans un grand baquet de sel pour en faire du petit salé (morceau de viande conservé dans du sel). Saint Nicolas sur son âne passe par là et frappe à la porte du boucher. Le boucher n’ose pas rejeter un évêque et le convie à dîner. Son invité lui demandant du petit salé, le boucher comprend qu’il est découvert et, pris au piège, avoue tout. Le saint homme étend alors trois doigts au-dessus du tonneau de petit salé, reconstituant et ressuscitant les trois enfants. Saint Nicolas enchaîne ensuite le boucher à son âne et le garde auprès de lui pour le punir. Ce coquin deviendra le père Fouettard dont le rôle est de punir les enfants désobéissants et les cancres. Le père Fouettard est habillé tout en noir, il a une barbe noire et se cache sous une grande cagoule noire. En résumé, c’est l’opposé de saint Nicolas habillé de vêtements colorés (mauve et blanc, avec une crosse, dorée à l’origine, puis rouge et blanche) et doté d’une superbe barbe blanche.
Racisme
Arrêtons-nous un instant sur cette figure du Père Fouettard ou Zwarte Piet aux Pays-Bas. Ce personnage a suscité de nombreux débats chez les Néerlandais. En effet, on peut analyser le Père Fouettard comme étant le serviteur noir (Swartz et Zwarte signifient « noir ») de Saint-Nicolas, et donc comme un personnage relevant d’une idéologie raciste. Cette affaire est si sérieuse que l’ONU a demandé aux Pays-Bas, de débattre pour décider si le personnage du serviteur noir de Saint-Nicolas, Zwarte Piet était raciste. Un autre problème que pose ce personnage sont les représentations qui en sont faites car s’il est représenté comme blanc dans les régions françaises, le Père Fouettard est traditionnellement grimé en noir aux Pays-Bas. Quand je dis grimé, je veux dire que des personnes en viennent à faire des blackface lors de la fête de St-Nicolas encore aujourd’hui. Après que l’ONU ait demandé aux Pays-Bas de réfléchir à ces problèmes, de nombreux courants conservateurs sont apparus et des pages Facebook s’intitulant « Zwarte Piet doit rester » ont recueilli plus de 70 000 like.
Ajoutons que le Père Noël en lui-même pose question. En effet, il est constamment représenté comme blanc, des récits catholiques jusqu’aux pubs Coca-Cola, alors que Saint-Nicolas (inspiré de Nicolas de Myre) ne pouvait simplement pas être blanc selon les archéologues qui ont découvert sa dépouille en Lycie (actuelle Turquie). Aussi, son lieu de résidence qu’on associe dans l’imaginaire collectif au pôle Nord ou à la Laponie ne tient pas du tout la route quand on sait que Nicolas de Myre venait de Turquie…
Voilà donc un autre exemple de whitewashing, c’est-à-dire d’action consistant à faire jouer ou incarner par des artistes blancs le rôle de personnages racisés (réels ou fictifs).
La figure du Père Noël et ses origines concentrent donc plusieurs enjeux et tensions à travers les représentations qui en sont faites. Ainsi, en 2016, une vague de propos racistes s’est abattue sur Larry Jefferson-Gamble, un vétéran afro-américain, qui avait été recruté par un grand centre commercial du Minnesota pour faire le Père Noël de cette année. Dans la même veine, en Suède, à l’approche de la Sainte-Lucie (13 décembre), l’une des fêtes les plus importantes de la période de Noël en Scandinavie, la chaîne de magasins Åhléns a été forcée sous la pression de retirer une publicité dans laquelle un petit garçon noir incarnait Sainte Lucie.
Patriarcat
Les représentations publicitaires qui sont faites du Père Noël en font la figure centrale du spot. Le Père Noël est le héros de tous les enfants et ses intentions sont louables puisque son but est de leur faire plaisir en distribuant leurs cadeaux. Cependant, les publicités ne mettent jamais en scène une Mère Noël qui aurait la même fonction que le Père : dans tous les cas, la figure de la Mère Noël est reléguée au second plan. Soit elle est présentée comme une gentille grand-mère passive, aimable et souriante qui prépare des biscuits en attendant son mari à la maison, soit elle est hypersexualisée, jeune, peu vêtue (alors qu’on est en hiver) et encore une fois en attente du Père Noël. La Mère Noël est donc cantonnée à l’intérieur, à la maison, aux fonctions du foyer (comme beaucoup de femmes lors des fêtes), alors que le Père a le monde pour lui, l’extérieur, le voyage, l’aventure.
Néanmoins, il y a des évolutions dans les représentations de la Mère Noël. En 2016, le magasin Marks & Spencer a fait de la Mère Noël une super espionne qui distribue en secret des cadeaux. Elle est alors présentée comme une femme dynamique qui prend des risques et qui a ses propres secrets. Cette initiative est louable bien que certains détails pourraient être améliorés, comme le fait par exemple que la Mère Noël paraît tout de même plus jeune que le Père Noël.
Hétéronormativité
Le dernier stigmate qui colle à la légende du Père Noël est, et cela va de pair avec la figure de la Mère Noël, son hétérosexualité. Le Père Noël est présenté depuis longtemps par les publicités comme un homme blanc, cisgenre, et hétérosexuel (on pourrait allonger la liste évidemment avec valide et alloromantique 1). Il forme avec la Mère Noël un vieux couple idéal qui correspond au modèle hétérosexuel et patriarcal que l’on a intériorisé depuis tout·e·s petit·e·s.
Heureusement, les publicités cherchent aujourd’hui à modifier ce modèle et présentent des Pères Noël gays. Ainsi, la Poste norvégienne a imaginé cette année un père Noël gay dans une publicité ayant pour objectif de célébrer l’arrivée des fêtes de fin d’année et le 50e anniversaire de la dépénalisation de l’homosexualité. Reste cependant à déterminer s’il s’agit d’une vraie prise de conscience ou bien de pinkwashing 2.
Pour l’année prochaine, pourquoi ne pas demander au Père Noël une publicité avec deux Mères Noël ?
Pour finir, je préfère préciser que cet article n’a pas pour but de critiquer le Père Noël, mais bien les constructions sociales ainsi que les représentations qui en découlent. Il n’y a pas de problème à avoir un père Noel hétérosexuel, tant qu’il y a aussi de nombreuses représentations de Pères/Mères Noël qui divergent des normes sociales.
Alice Malak
1. Personne qui ressent de l’attraction romantique
2. Procédé mercatique utilisé par un État, organisation, parti politique ou entreprise dans le but de se donner une image progressiste et engagée pour les droits LGBT
Sitographie
- LCI. « Etats-Unis : un Père Noël noir provoque une déferlante raciste ».
- Noël vert. « La vraie histoire du Père Noel. Origine et légende : de Saint Nicolas à Coca Cola ».
- Le Huffington Post. « Le Père Noël, ce militant féministe », 15 décembre 2014.
- Madmoizelle. « Le Père Noël est-il vraiment une ordure (sexiste) ? », 22 décembre 2020.
- Magazine Antidote. « Noël est-elle la fête la plus sexiste et raciste au monde ? », 21 décembre 2018.
- « Saint-Nicolas (fête) ». In Wikipédia, 15 décembre 2021.
- Valeurs actuelles. « [Vidéo] “Quand Harry rencontre Santa” : un spot norvégien met en scène un père Noël gay », 26 novembre 2021.