Cadavre exquis: Episode 4

Quatrième épisode de ce cadavre exquis. Le mystère s’épaissit et l’intrigue se noue doucement, entre deux gouttes de pluie. Merci beaucoup à Chantal Pfister pour son enthousiasme, ses onomatopées et sa jolie contribution ! Si vous aussi, vous avez envie de jouer avec les mots et les textes, n’hésitez pas à envoyer un mail au journal (cpes.journal@gmail.com) : l’aventure continue pendant les vacances… Belle lecture!

(S)ombre

Tic. Tic. Plic.

Aux pas de l’ombre, succède la pluie. Doucement, de grosses gouttelettes viennent titiller les carreaux. Personne ne bouge, le souffle coupé. Tous stoppés net s’engouffrent dans l’instant. Cet instant où la nuit arrête le cours du temps. Cet instant où le ciel menaçant glace les corps englués de sueur.

Tic. Tic. Tic.

La brume s’épaissit et lentement, la petite mélodie résonne dans le vent et se perd dans la nuit. Au rythme des feuilles de vigne tendrement martelées par ces premières gouttes de pluie, elle file. La fraicheur s’écoule sur le raisin encore trop vert.

Tic. Tic. Plic. Le ciel gronde. Très loin, la foudre éclaire un instant les règes qui clignotent dans la nuit. Puis l’ombre laisse place aux ténèbres : celles d’une nuée obscure, obscurité qui bâillonne la lune.

Sombre. Tout tombe. La brise mouillée caresse la peau. La lueur du réverbère s’estompe, son halo embrouillé vacille. Il lutte faiblement contre ce filtre aqueux qui tombe maintenant en trombe.

Plic. Plic. Plic. Enfin. Les corps se relâchent. L’eau ruisselle et vient fouetter leurs peaux brûlées qui frisonnent à son contact. Tic. Tic.

Il expire. Dans son nuage de tabac, l’esprit se laisse aller. Loin de la routine, celle des corps fatigués.  Il s’en va. Tic. Tic. Tic. Il connait cette musique. Le piquant de ces yeux d’Azur. La douceur de la valse d’Asmar qui les entrainait jusqu’au petit matin. Sa main qui effleure et épouse la courbure du dos d’Elsa, frissonnant dans l’air de la nuit. Un, deux, trois et un, deux, trois. Joue contre joue, il peut la sentir, comme avant. Il se fond dans le parfum de son cou. Ce goût fruité, légèrement acidulé.

Tic. Tic. Il allume son briquet. La flamme se plie et vacille dans la brise. Tchik. Tchik. Son doigt frotte la molette, l’étincelle brûle sa paume dont il se fait un abri. Tic. Tic. Tic.  La valse silencieuse fait dans sa tête un vacarme assourdissant et le transporte hors du temps.

Es-tu un fantôme? Dans la profondeur des ténèbres, son esprit chute. Libre, il la rejoint. Celle qui, avec lui, partageait la douceur du matin. Comme seule lumière, le bout de sa cigarette luit. Et pour seul appui, il ne lui reste que ce petit phare dans la nuit.

Tic. Tic. Tic.

Elle, elle prend le large. Sa boite sans couvercle, elle met les voiles. La pluie chatouille ses joues déjà rougies par la fraicheur de l’orage. Gorgés d’eau, ses cheveux bruns s’emmêlent au gré des bourrasques de vent. Elle respire, enfin. Fermement repliés sur la barre encore chaude de la balustrade, ses poings retiennent son corps de plume. Les paupières closes, elle se sent si légère et affronte calmement la fureur de l’instant. Tic. Tic.  Voguer, se laisser aller comme ces torrents d’eau sur la terre graveleuse. Voguer, les pensées à la dérive. Fermer les yeux, et expirer. Entre les lignes de la partition nocturne, dans une coquille de noix : voguer.

Plic. Plic.

L’ombre grandit. Petit à petit, elle vient recouvrir le jeune homme tourmenté. Comme les nuages dans la nuit, elle épouse son corps. Impossible de respirer. Le manteau le glace et hérisse sa peau moite. Assis sur le perron, il fixe l’obscurité. Rien.

Plic. Tic. Il ne voit rien. Mais l’esprit retombe. Enfin. Quelqu’un a tout éteint.

Il tombe. Comme cette pluie, libératrice. Cette pluie, salvatrice. Si pure et pourtant si indécente : partout elle s’immisce. Curieuse et voyeuse. Aucun recoin ne lui résiste. Elle coule, s’écoule et glace les tuiles autrefois si ardentes. Pic. Plic. Il la sent. Plaquer ses cheveux sur son crâne. Couler dans son dos, tout du long. Cette pluie sombre qui libère le pétrichor des vieilles pierres, et imprègne la terre compactée par le soleil. Elle tombe. Comme ces nuages de raisins, elle se soumet aux lois de la gravité. Gorgée d’eau, en grosses gouttes, au rythme des pas de l’ombre, elle tombe. Il ne voit la voit pas. A tâtons, il se lève et s’enfonce dans les vignes qui se perdent dans la nuit.

Là-bas, le ciel gronde. On n’entend pas encore les canons qui crèvent les nuages de peur que la grêle abime les fruits.

*  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *

Je te sens.

*  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *

Net. Tout brusquement s’arrête.

Par Chantal Pfister.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *