Cadavre exquis: Episode 3

Troisième épisode de ce jeu d’écriture qui nous plonge un peu plus dans la moiteur de cet été – libérateur – qui s’annonce. Faisons un accueil chaleureux à Delphine Bourgeois, en classe de khâgne au lycée Montaigne à Bordeaux, qui nous a prêté sa plume. Un immense merci à elle d’avoir montré tant d’entrain à l’idée de participer à ce projet ! Si vous aussi, vous avez envie d’essayer, à la suite de ce texte ou plus tard, n’hésitez pas à envoyer un mail au journal (cpes.journal@gmail.com)… Belle lecture !

(S)ombre

Lui c’est la pluie, la fumée d’une cigarette dans la nuit, les marques du soleil et les courbatures de la veille. Mais lui c’est aussi un rire enfantin, un livre oublié dans la cuisine au matin, une odeur d’agrume et une silhouette dans la brume.

Il écrase son mégot sur le rebord de son balcon et regarde cette forme immobile qui se fond dans les nuages terrestres. Il l’a entendue quitter sa chambre et il l’a vue errer dans la cuisine, traverser la route puis se perdre dans les vignes. Presque toutes les nuits son voisin de chambré et collègue de corvée va promener son corps dans la nuit lourde et moite.

Ici chacun a son rituel. Lui, il les contemple tous. Tous ceux qui ont leur routine saugrenue, la routine des corps fatigués par la vigne et le soleil d’été. Arrivés à un certain point des vendanges ils ne sont plus que des corps épuisés. Les muscles agissent mécaniquement, ils se réveillent, lèvent le corps, le portent dans les règes, le font travailler puis se rendorment. L’esprit, lui, divague, se perd quelque part, imagine et voit des choses, des choses anormales, des choses fantastiques.

Il tourne la tête vers un balcon plus loin, à quelques pierres et couloirs du sien, et observe à la dérobée la jeune femme qui noie ses insomnies dans des rêves éveillés. Vraiment les nuits ici, c’est un autre monde.

Il s’allume une autre cigarette.

La silhouette de son collègue s’est noyée dans la brume, celle de la fille est perdue entre les ombres de la nuit et celles de la boîte à chaussures dans laquelle elle vit. Il ne reste que lui, lui et la nuit, lui et le lampadaire, lui et les croassements, lui et les moustiques, lui, sa cigarette et sa tête.

Il aimerait tellement qu’il pleuve, que les gouttes fraîches lavent celles qui perlent sans cesse sur sa peau au moindre mouvement. Il aime la pluie. Non, il adore la pluie. Il ferme les yeux et imagine quel bonheur ce serait qu’il pleuve. Même l’eau de la douche est chaude ici. C’est vraiment un autre monde.

Il ouvre les yeux, tire, inhale, souffle et soupire. Se détruire les poumons a un goût délicieux. A travers la brume il aperçoit son collègue qui revient de sa promenade nocturne. Il ne le salue jamais. Chacun préserve le silence. La fille non plus ne fait pas de bruit. Elle s’appuie simplement à la balustrade. La brise fait danser le mince tissu qui recouvre son corps. Elle profite des frissons qui s’agitent sur sa peau.

Mais soudainement le silence est brisé. C’est faible, presque imperceptible, mais quelque chose fait taire les croassements et le silence. Des petits pas. Tout légers, tout discrets. Et une ombre se distingue de toutes celles créées par l’union de la nuit et du réverbère. Cette ombre là oscille comme si elle dansait au grès de la brise. Elle regarde la fille, elle regarde le garçon, elle le regarde lui. Elle les regarde tous à la fois, mais aucun ne se voit. Elle est là, mais ils ne sont pas là. Elle les regarde et continue de valser, ses petits pas produisant une symphonie de notes presque inaudibles.

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Es-tu un elfe ?

Par Delphine Bourgeois.

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