Le regret est différent du remord, qui lui, correspond au chagrin d’avoir fait quelque chose que l’on aurait voulu ne pas avoir commis. Au contraire, le regret est un sentiment de peine lorsqu’on se rend compte, après coup, que l’on n’a pas fait quelque chose que l’on aurait voulu faire. On ressent alors une douleur dû à l’impossibilité, humaine, de pouvoir revenir en arrière. Regretter, c’est se rendre compte à mi-chemin, qu’une autre route aurait été préférable mais qu’il est maintenant impossible de revenir en arrière.
Partons tout d’abord d’un constat simple : l’homme est amené à regretter toute sa vie puisqu’il y aura toujours immensément plus de choses qu’il n’aura pas faites que de choses qu’il aura faites. Ainsi donc le regret est constitutif à la nature humaine. Ne rien regretter, c’est aller à l’encontre de son être, c’est donc s’épuiser pour rien. Ainsi puisque ne rien regretter est impossible, il va de soi qu’il vaut mieux accepter et apprivoiser ses regrets plutôt que de lutter vainement contre soi-même.
Ainsi, un regret peut naitre de deux situations. La première intervient à la suite d’un résultat décevant : on se rend compte a posteriori qu’une autre option aurait été préférable et l’on regrette de ne pas l’avoir choisie. Le regret ici n’est pas mauvais mais constitutif. En effet si une situation semblable se reproduit un jour, le choix pourra être plus aiguisé et le résultat n’en sera que meilleur. Décider d’accepter avec fatalité tout ce qui arrive, le bien comme le mal, est une erreur. Il faut mettre des mots sur les moments de joie comme sur les douleurs sinon cela revient à ne pas chercher le meilleur, à croquer une vie sans saveur.
Dans le deuxième cas, on regrette ce qu’on a dû perdre en faisant un choix. Mais cela ne veut pas dire que l’on cherche à remonter le temps pour modifier cette décision. Il faut avoir conscience que le choix fait reste le meilleur mais qu’il occasionne des pertes collatérales. Il a fallu sacrifier une infinité de possibilités pour une unique option. C’est la puissance de la décision. Ainsi le regret est nécessaire pour donner de la valeur aux actions, car plus grand est ce qu’on perd plus le choix prend de la valeur. Le regret est en quelque sorte la mémoire des sacrifices, le regret se reconstruit à l’infini.
Les regrets, ces cicatrices du passé, font de nous des êtres dans toute leur épaisseur, des êtres émouvants car imparfaits. Ainsi pour vivre pleinement, sans se retourner sans cesse sur son passé il faut accepter d’avoir fait des erreurs : oui, je regrette de ne pas avoir retenu cette personne dans ma vie, je regrette d’avoir manqué ce rendez-vous, je regrette d’avoir blessé cette personne. Il y aura toujours une infinité de choses que l’on ne fera pas face au peu de projets qu’on aboutira. Mais si l’on considère ses regrets comme des échecs, au lieu de les accepter comme une partie de soi, comme une constellation d’options manquées ou de dés cassés, alors nous sommes condamnés à mener une vie au conditionnel marchant comme un funambule sur des « j’aurais dû faire, dire ou choisir cela ».
LOUISE FORT