Avoir ou ne pas avoir le temps de niaiser
Il hésite. Un 18-6, ça s’accorde pas à n’importe qui. En qui il a assez confiance pour passer tant de temps sans rupture, sans malaise ? Evidemment, on l’a fait des milliers de fois, un apéro long, une soirée qui s’étend aux confins de la nuit… Mais là, justement, il y a la nuit sur place, le réveil empâté, la lumière trop vive pour se plaire encore. Surtout, ça n’est pas une option. A 18h, pas d’échappée avant l’aube. Il soupire fort, ça lui donne l’impression de se délivrer du poids des restrictions. Il propose des 18-6 à ses amis, ceux avec qui le temps passe toujours trop vite, et désinstalle Tinder. Après les partiels, sa libido était un peu revenue, mais le couvre-feu contraint les désirs. Il souffle une seconde fois. Il va encore falloir pas mal sublimer.
Sa maman avait son manteau blanc, elles avaient fait un bonhomme de neige. Ça crissait sous les chaussures. D’autres enfants avaient pris une luge et s’élançaient en riant. Les arbres enneigés avaient des allures d’esquisses. Les gants rendaient les doigts trop gros pour être habiles et les bonnets descendaient jusqu’aux sourcils. Un petit chien éternuait dans la poudreuse. Les gens marchaient, sans masque. Elles ne sauraient pas dire, maintenant, s’ils souriaient vraiment ou si c’est juste un souvenir imparfait d’une jolie parenthèse. Quand elle est allée la chercher à l’école, lundi, tous les enfants bruissaient encore joyeusement. Pas de bataille de boules de neige, tout avait fondu, mais plein d’histoires de ce samedi d’hiver à se raconter.
Ca y est, c’est passé. La tempête des partiels est finie. Pas le temps de s’échouer sur les plages ensoleillées, la grève attendra les vacances. La mer s’est calmée, c’est déjà ça. On se remet à la barre. La tête tourne légèrement, le regard fixe l’horizon qui tangue toujours un peu. Le goût des hauts-le-cœur rape encore la gorge, on n’a pas l’effet apéro pour le faire passer. Le vague à l’âme profite des restrictions et vogue, trop proche. L’orage est parti, pourtant le vent n’a pas chassé les nuages, on attend encore l’éclaircie. Tout est sens dessous dessous, de la cale au mât, et pourtant les flots ont repris leur état initial. État initial, à vrai dire, on ne sait plus vraiment, la houle a bouleversé le familier. On ne sait plus où on en est, on navigue à vue, mais ça y est, c’est passé.
Ils se sont dit des mots d’amour au creux de l’oreiller, sous le drap. Il faisait trop chaud, quelques cheveux collaient aux tempes un peu humides, les corps presque moites ne se touchaient plus. A quelques centimètres, les deux bouches s’embrassaient par les sons et les yeux se dévoraient tranquillement. Les souffles embuaient les sens et les rythmes cardiaques dansaient. Ça y est, tout était dit. Le silence s’immisçait entre les sourires sereins comme un dernier je t’aime. Il s’était demandé s’ils allaient éclater de rire en se voyant si niais, rompre cet état trop raconté et vécu pour être aussi original que les sensations le voudraient, mais non. Ils le vivaient sans le relativiser. C’était juste beau, sans second degré, d’être si normalement amoureux.