Cet été, par pure coïncidence, je me suis un jour retrouvé dans une Fnac. Par le plus grand des hasards, après avoir suivi des rayons sans réfléchir, je lève la tête et constate que mon instinct m’a porté tout seul au rayon BD (coup de bol). Je me suis alors livré (sans mauvais jeu de mot) à un de mes passe-temps préférés : feuilleter toutes les bandes dessinées sur lesquelles je peux mettre la main. C’est alors que j’ai ouvert Moins qu’hier (plus que demain) ; je lis à peine un strip qui me fait rire ; il ne m’en faut pas beaucoup plus, et je l’achète. C’est donc sur cette BD que portera ce premier Coin Bande Dessinée (CBD pour les intimes).
Fabcaro est un nom bien connu de la BD française des dix dernières années. Dessinateur, scénariste et même romancier entre autres, son nom en fait sans doute frémir certains à cause de son image de monstre sacré pour une partie de son public. Si vous avez déjà entendu des phrases dans le style de “Alpha Wann est le meilleur rappeur que la Terre ait porté”, “Alexandre Astier est le plus grand génie du cinéma français”, et autres thèses d’amateur d’art probablement prononcées après une taffe de cigarette roulée main, vous pouvez vous faire une idée de ce qui se dit parfois sur Fabcaro, au coin du rayon “humour” d’une librairie de BD. Sans l’encenser pour autant, force est de constater que le monsieur a une identité graphique et dramaturgique (un peu pompeux comme terme, mais j’ai pas trouvé mieux) bien à lui. De l’absurde, un peu de satire sociale, des dialogues grinçants; autant d’éléments que Fabrice Caro (son vrai nom, on peut saluer l’inspiration du pseudonyme) maîtrise et que j’avais déjà vu à l’oeuvre dans Zaï Zaï Zaï Zaï (2015) et dans Formica, une tragédie en trois actes (2019), pour mon plus grand bonheur.
Mais pas la peine de tergiverser plus longtemps : plongeons nous plus en détail dans les composantes de Moins qu’hier (plus que demain), publié en 2018 aux éditions Glénat.
D’abord, le fond. Moins qu’hier (plus que demain), comme vous l’aurez peut-être deviné au titre ou à la couverture, est une BD sur la vie de couple. Elle est organisée en strips d’une page qui montrent soit une scène de vie de couple, soit une discussion qui en parle. C’est avant tout avec beaucoup de cynisme que Fabcaro aborde le sujet : des mensonges que l’on fait pour rentrer ou sortir d’une relation, à la monotonie qui s’installe et remplace la passion, en passant par l’infidélité, le divorce, les enfants… Tout était là pour faire une œuvre bien déprimante qui vous dégoûterait de toute forme d’intimité avec un autre être humain. Et pourtant cette BD donne le sourire grâce à un ingrédient qui ne rate pas sa cible: l’humour. En maximum six cases (et minimum une seule, on y reviendra), Fabcaro à le temps de poser un contexte simple, souvent en reprenant une situation-type bien reconnaissable (réunion parent-prof, achat d’une télé, petit-déjeuner), de nous présenter brièvement deux personnages, et d’ajouter à leur intéraction un rebondissement absurde, ce qui permet à la dernière case et/ou réplique de faire office de “punchline”. C’est non seulement efficace, mais l’auteur peut ainsi condenser le message de la page en une phrase ou image assez mémorable. Si on ne peut pas vraiment parler de BD engagée ici, Fabcaro nous rappelle toutes nos hypocrisies quotidiennes, la nature parfois égoïste de nos relations avec les autres, notamment en usant sans modération d’un procédé dont il est friand : la franchise abusive. Les personnages disent l’inverse de ce que la situation appelle, ce qu’ils pensent réellement mais à voix haute, ils outrepassent les conventions sociales de la conversation avec une nonchalance déconcertante.
Le résultat est sans appel: c’est souvent inattendu, c’est drôle, ça pique là où ça fait mal.
Mais passons aux éléments graphiques, le dessin, la coloration, les cases, la mise en page, toutes ces choses dont je suis loin d’être assez connaisseur pour en parler (mais je vais faire de mon mieux).
Je l’ai dit plus tôt, Moins qu’hier (plus que demain) est organisé en strips d’une page, centrés sur deux personnages qui changent à chaque page. Avec 59 pages au total, Fabcaro évite la monotonie en alternant un format “classique” de six cases, des strips de trois cases larges, et quelques pleines pages qui dynamisent l’ensemble. Au sein des strips même, la règle générale rappelle celle de l’exercice d’itération : les cases ne changent pas ou très peu, mais l’histoire est racontée par les dialogues, qui, eux, changent. Mise à part les expressions faciales, donc, les positions des personnages sont fixes, ce qui n’est pas surprenant puisqu’on trouve dans cette BD relativement peu de scènes d’action, d’aliens et d’explosions.
Au niveau du style de dessin, il peut paraître intimidant car plutôt sérieux pour une BD d’humour : pas de cartoonesque ou d’extravagances, un trait noir fin et assez libre pour les contours, une seule couleur par page pour les ombres. Pour dire vrai, si on enlève les dialogues, on croirait lire l’équivalent BD d’un film d’auteur français dans lequel les personnages s’annoncent qu’ils sont gravement malades. Mais c’est justement le contraste entre ce dessin “sérieux” et les dialogues loufoques, crus et parfois vulgaires qui crée le décalage : les situations initiales en sont plus crédibles, et les punchlines encore moins attendues. Il n’y a pas de meilleur exemple que la couverture : un plat de spaghetti de mariage, c’est une blague qui ne fonctionne que si on l’assume, et c’est le cas ici.
Du point de vue graphique, le format correspond donc très bien au propos, et s’il n’est pas époustouflant, le dessin remplit parfaitement son rôle.
Il est déjà temps de conclure et de noter (c’est pour ça que vous venez, hein?). Mon bilan sur Moins qu’hier (plus que demain), vous vous en doutez sans doute, plutôt positif. Quand je l’ai lu la première fois, à la terrasse d’un café, j’aurais sûrement craché ma limonade à plusieurs reprises si elle n’avait pas coûté 3€. Les blagues fonctionnent, il n’y a pas de temps mort et la BD se lit facilement d’une traite. Elle n’est pas très grande en terme de dimensions: 24,7 par 17,5 cm (mesurées au double-décimètre par votre serviteur), c’est-à-dire à mi-chemin entre un format poche et une BD “classique” (bien qu’elle ait une couverture rigide), donc pratique à transporter et moins chère que beaucoup d’autres (environ 12€ en neuf).
Elle n’est cependant pas sans ses défauts. D’abord un détail qui m’a interpellé : pas un seul des couples dont il est question ici ne diverge du schéma homme+femme. Je ne suis pas en train de faire ma propagande de gaucho sur la représentation ; mais ça me semble bizarre, pour une BD publiée en 2018 et qui parle exclusivement du couple, de tourner intégralement le dos à toute alternative à notre bonne vieille structure hétéro. Quitte à distribuer des baffes avec une bonne dose de sarcasme, pourquoi ne pas le faire à tout le monde? J’ai trouvé ça curieux, alors j’ai tenu à le partager. Autre pépin, même si celui-là relève plus des goûts de chacun que d’un réel défaut, c’est que la BD est très courte. 59 pages de contenu : résultat, on l’a fini en 10 minutes. Je ne dis pas qu’il aurait fallu faire plus long ; c’est sûrement une sage décision que de s’être arrêté sans traîner en longueur. Cependant, les amateurs de longues histoires et de narration continue seront sans doute un peu déçus.
Mais alors, la note? Hein, la note? On en pense quoi? Faut mettre un chiffre dessus sinon c’est pas clair. Alors voilà (oui, mon échelle de notation est en onomatopées de comics, pas de jugement) :
Selon moi, Moins qu’hier (plus que demain) est un solide 4 sur 5. Peut-être pas un chef-d’œuvre, mais néanmoins très bon et surtout très drôle. Offrez-le à Noël ou aux anniversaires de vos amis (qui n’ont pas lu cet article bien sûr) si vous voulez avoir l’air spirituel, cultivé, et en marge à la fois ; fou rires garantis.
Lucien Felten.