Le deux août 2021 la nouvelle loi bioéthique fut promulguée et cela après 470 heures de débats parlementaires, des milliers d’amendements déposés, un contrôle du conseil constitutionnel. Deux ans pour qu’elle soit enfin publiée au Journal Officiel. Pourquoi tant de débat autour de cette loi, pourquoi ? Tout d’abord quels sont les changements qu’elle entraîne, en quoi consiste t-elle ?
Son objet est d’élargir « l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées et donne de nouveaux droits pour les enfants nés d’une PMA (procréation médical assistée). Elle contient d’autres dispositions, notamment sur l’auto-conservation des gamètes hors motif médical, la recherche sur les embryons et les cellules souches. » (1)
Une loi orientant l’AMP vers le social,
Une avancée qui profite à tous,
Une première évolution que permet cette loi est la possibilité de conserver ses gamètes sans aucune raison médicale, dans un simple objectif préventif. En effet, dorénavant il est possible de les prélever dès 29 ans et jusqu’à 45 ans pour les hommes et 37 ans pour les femmes. Les personnes ayant conservé leurs gamètes auront le droit de les utiliser jusqu’à 60 ans pour les hommes et 45 ans pour les femmes. Cette ouverture à tous permet de prévenir contre une perte de fertilité qui pourrait survenir au cours de la vie du patient et surtout de limiter le don d’ovocytes ou de spermes. Lors de la procédure d’une AMP vous pouvez juste vous servir des gamètes que vous avez conservés. On passe à une préservation sociale de la fertilité de l’homme ou de la femme. Cependant, la conservation n’est pas remboursée.
Le nouveau droit accordé aux enfants nés d’une PMA est la possibilité pour eux de connaître l’identité et les intentions de leurs donneurs une fois leur majorité atteinte.
Une ouverture à tous,
Maintenant abordons l’autre pan de de cette réforme de l’AMP. Cette réforme était soutenue par la volonté d’ouvrir l’AMP à toutes les femmes de manière égale et équitable :
-les couples hétérosexuels
-les couples de femmes
-les femmes seules, non-mariées
Avant uniquement les couples hétérosexuels, dont l’un ou les deux avait des problèmes d’infertilités, était en situation de stérilité ou porteur d’une maladie grave pouvait demander l’aide du service de AMP. Aujourd’hui, il n’y avait plus besoin d’avoir une indication médicale.
Présentation de l’AMP,
Avant d’approfondir le sujet, faisons un petit point sur ce qu’est l’AMP et sa place actuelle dans la société. Je tiens à préciser que ce n’est pas exactement le même processus qui est décrit dans Le meilleur des Mondes de Aldous Huxley. Tout d’abord il faut prendre un rendez-vous avec un médecin gynécologue, expliquer votre projet parental, les raisons de votre venue, et, à la suite de plusieurs rendez-vous, un bilan de fertilité est alors prescrit pour les deux partenaires. Il est nécessaire de faire ce bilan pendant le cycle d’ovulation. Plusieurs rendez-vous sont nécessaires pour un bilan complet avant de prendre la décision du mode d’AMP. L’assistance peut se traduire par deux méthodes. La première est l’insémination intra-utérine, elle se divise en plusieurs étapes, il faut d’abord stimuler le cycle d’ovulation de la future mère pour avoir une ovulation puis le sperme est déposé dans la cavité intra-utérine. La seconde méthode plus connue c’est la FIV (fécondation in vitro). Une hyper stimulation du cycle de la femme est réalisée et cela entraîne la mise en maturité de plusieurs ovocytes qui sont ensuite récupérés par un geste chirurgical. Pour ensuite pouvoir exécuter la mise en fécondation des spermatozoïdes et des ovocytes appartenant aux futurs parents en laboratoire. Après deux jours l’embryon est formé et on fait un transfert d’embryon entre ce deuxième jour et cinquième jour de culture embryonnaire. Souvent plusieurs embryons sont obtenus, tous ne sont pas forcément transférés, certains peuvent être congelés. Aussi, selon le bilan de fertilité, le couple va pouvoir bénéficier d’un tiers donneur ou donneuse ou d’un accueil d’embryon(s). On distingue alors l’AMP intraconjugale ou l’AMP avec tiers donneur ou donneuse ou celle avec un accueil d’embryon(s). En général pour y arriver il faut plusieurs mois et il y a un suivi médical et psychologique tout du long.
Le premier bébé né après une grossesse initiée au détours d’une FIV, a vu le jour en 1978 en Angleterre. La première en France eut lieu quatre ans plus tard. Dans les années suivantes, de grandes progressions ont eu lieu dans ce domaine. Face à ces évolutions les professionnels de la santé ont demandé d’installer un cadre juridique pour éviter des dérives. Ainsi, la première loi bioéthique fut votée en 1994, elle donna un contexte bien précis à cette pratique et entraîna la création de centres d’AMP en 1996 pour y déterminer des limites.Elle permit aussi la création de l’agence de biomédecine. Voici la définition donnée à l’AMP : « pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que de toute technique d’effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel. » (2). Cette définition est toujours valable aujourd’hui. Depuis, des centres d’AMP se sont créés dans toute la France, les lois de bioéthiques ont été revues en 2004 puis en 2021. Une révision était nécessaire car c’est un service médical qui prend de plus en plus d’importance. En 2015 3,1% des naissances sur le sol français étaient des AMP, une autre statistique estime qu’ environ un tiers des tentatives de naissance avec une AMP aboutissent. Et grâce à cette nouvelle ouverture, la part des naissances issues de l’AMP ne fera qu’ augmenter et le nombre de tentatives qui réussiront augmentera car les nouveaux bénéficiaires n’ont à priori pas de problèmes de fertilité.
Un soucis d’égalité,
Dorénavant, l’AMP est ouverte à toutes les femmes en plus des couples hétérosexuels. Les conditions d’accès dans un souci d’égalité sont les mêmes pour tous, un simple projet parental doit être émis par les bénéficiaires. Il était très important de « rénover » la loi, toutefois on peut relever quelques vides dans cette réforme ou quelques problèmes en devenir. Un premier qui peut être relevé, c’est que les couples d’hommes ou les hommes seuls ne puissent y avoir accès. Sachant que la condition principale pour accéder à l’AMP est de posséder un utérus fonctionnel, le refus à cet accès est alors logique car cela obligerait à utiliser la GPA (gestation pour autrui, la femme qui porte l’enfant ne sera pas la mère de l’enfant). Or cette pratique fut toujours interdite de même que le refus de l’AMP post-mortem (3) a été réaffirmé. Cependant cette interdiction aux hommes seuls ou couples d’hommes a entraîné des revendications de la part des associations LGBTQIA+. En effet, prenons le cas d’un homme trans-genre, son identité à l’état civil est « Homme » pourtant il possédera toujours un utérus fonctionnel. Logiquement tant qu’il y a possibilité physique c’est possible, il pourrait être un homme enceint.e . Alors, est ce que l’utilisation de l’AMP lui est refusée ? Selon les bornes juridiques oui. Et inversement, une femme trans-genre seule ou en couple avec un homme ne pourra bénéficier d’une AMP car elle ne possédera pas d’utérus fonctionnel et cela même si c’est une femme. Le problème est qu’ en suivant la loi, les femmes transgenres seront traitées comme des hommes et les hommes transgenres comme des femmes. On pourrait dénoncer un certain type de discrimination envers les personnes trans-genres. Le conseil constitutionnel a donc réalisé un rappel sur ce sujet en précisant que ce n’est pas une discrimination car la situation de base est différente donc la réponse est différente. Une autre revendication de ces associations concerne les personnes transsexuelles. Est-ce que une personne ayant réalisée la conservation de ses gamètes pourra les utiliser après avoir changée de sexe ? Autour de cette question il reste un vide juridique. Les personnes contre proclament que cela serait très perturbant pour l’enfant car la mère pourra être son père et son père sa mère. Cela entraînerait un problème de droit de filiation : qui est le parent de qui ? Le droit de filiation pour les couples hétérosexuels est dit naturel, contrairement aux couples de femmes qui doivent passer par une procédure d’adoption. Aussi, cela appellerait à utiliser la technique de la maternité partagée, ce qui signifie que la mère porteuse est la mère d’intention (4), mais autour de cela aucune interdiction ou autorisation explicite n’a été formulée. Au vu du silence de la loi, la personne qui en décidera sera le médecin, il fera du cas par cas.
Un autre point de discorde se joue entre les deux écoles dans la médecine. L’une a une vision uniquement thérapeutique de la médecine et l’autre a une vision où la thérapeutique n’est qu’une facette, son objectif principal étant d’améliorer les conditions de vie des individus. La question posée est la suivante: sommes-nous toujours dans une réponse médicale ou l’AMP est juste là pour répondre à un besoin social ? Les couples hétérosexuels bénéficient de l’AMP pour compenser un problème de fertilité ou éviter la transmission d’une maladie. Pour les femmes non-mariées ou les couples de femmes ce n’est pas lié à une quelconque maladie mais simplement à l’envie d’avoir un enfant. C’est une des raisons pour laquelle cette ouverture de l’AMP fut beaucoup contestée. Néanmoins l’AMP n’a jamais été un soin, elle est plus là pour pallier une souffrance, un manque. Ainsi, dans toutes les situations les patients se présentant ont un projet parental qui ne pourrait aboutir uniquement avec une AMP. En soit l’AMP offre un droit d’être parent.
Une dualité entre le droit de l’enfant et le droit du parent,
L’ouverture de l’AMP aux femmes seules peut poser un problème sur le rapport entre droit d’être parent et droit de l’enfant. Non pas sur le fait qu’un enfant ne peut être élevé par un seul parent, cela est tout à fait possible. Mais un autre cas qui peut être n’a pas été suffisamment pris en compte dans l’élaboration de cette nouvelle loi. En suivant la théorie de la loi il est tout à fait possible qu’une femme en couple avec un.e conjoint.e, accède à l’AMP seule demandeuse même si son ou sa partenaire n’en désire pas. Elle pourrait alors monter son projet parental tout.e seul.e et sans l’accord du second membre, aller se présenter à un service d’AMP en tant que femme seul.e ou non marié.e et demander une aide pour avoir un enfant. Dans la loi rien n’empêche. Elle prend une décision seule alors qu’elle n’est pas seule, un enfant n’affectera pas uniquement elle, avoir un enfant est un changement conséquent, c’est une charge de travail importante qui aura forcément une influence positive ou négative sur le couple. Cette méthode pourra premièrement permettre de continuer le processus même s’ il y a une séparation dans le couple. Or, ici l’enfant aura de forte chance de naître à un moment où sa mère ne sera pas dans la situation la plus stable. Mais dans le second cas où le couple reste uni il y a un toujours un problème pour l’enfant qui est inévitable. Il va arriver dans un foyer où le/la partenaire ne voulait pas de lui, l’enfant arrivera dans un foyer où il n’est pas totalement le bienvenu.Bien évidemment ce problème peut exister dans les couples hétéros, de nombreux enfants peuvent naître sans que les deux parents le désirent. Or dans un idéal grâce à une procédure d’AMP un enfant est censé naître et grandir dans un environnement où les personnes voulaient complètement de lui et non juste à moitié. Comme le nouveau-né considéra le ou la conjoint.e et comment la ou le conjoint.e prendra soin de l’enfant ? Est-ce réellement sain pour l’enfant et le couple ? N’est ce pas privilégier le bonheur de la future mère d’avoir un enfant au détriment des conditions de l’enfant ? Dans les situations les plus extrêmes on pourrait même considérer cela comme un moyen de pression, de chantage envers le ou la partenaire. Pourquoi provoquer la naissance d’un enfant dans un couple où seule une personne veut un enfant ?
Donc, la nouvelle loi bioéthique est une avancée mais il faudrait cependant éclairer ou réglementer un peu plus certains aspects. Notamment autour des personnes trans-genre ou transsexuelles, où la loi reste évasive. Surtout de mettre en place une réglementation plus précise sur la possibilité pour les femmes seules d’avoir un enfant grâce à l’AMP, bien évidemment il y a des points positifs or il existe un danger pour l’enfant de pouvoir naître dans un foyer où seule une personne voudrait de lui.
Happy Valentine’s day !
Notes de bas de pages :
1. source vie publique
2.
3. L’AMP post-mortem : “ Réaliser une procréation médicalement assistée avec les gamètes d’un.e conjoint.e décédé.e.” https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/07/29/les-deputes-rejettent-a-nouveau-la-pma-post-mortem_6047633_823448.html
4. La mère d’intention est la mère qui s’occupera de l’enfant. Dans le cas d’une GPA la mère porteuse et la mère d’intention ne sont pas les mêmes personnes.
Autres sources :
– https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1765462921000891
– https://www.ghbs.bzh/decouvrir/assistance-medicale-a-la-procreation-amp/l-amp-a-lorient-668.html
– https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/la-pma-pour-toutes/h/4ecdbae7714c68b3982e2755e218918a.html
– https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2020-1-page-11.htm