Quoi de neuf ? #2

Lune bancale, joli radeau et novembre décloisonné

La lune est bancale, ça m’a mis un coup. Je m’en remettrai, c’était juste pas très agréable d’être si soudainement déracinée du satellite. Ça tournait pas rond à en donner le vertige. J’en ai pas des milliers de référentiels, alors quand le ciel se décale j’ai des envies de tout foutre en l’air. Sauf moi ; quand j’ai les étoiles comme ça, sens dessus dessous, ça me reste sur l’estomac et j’ai tout sauf l’envie de m’envoyer en l’air. Comment être si terre-à-terre quand j’ai l’infini qui dégringole ? Atlas s’est peut-être voûté sous le poids des années ou alors il est comme beaucoup en ce moment, dont moi, un peu déprimé. Si c’est ça, t’en fais pas, demain on jouera, on rira, on fera des roulades, on remettra le monde à l’endroit dans des éclats de joie. En attendant, il faut apprivoiser ces travers qui donnent parfois des nausées lacrymales. Ce qu’il y a de bien quand tout fout le camp, c’est que le relatif refait surface et qu’on n’a plus qu’à nager au milieu de l’univers vers l’horizon qu’on choisit.

Il a battu le pavé, il a manifesté en plein orage, alors que tout le monde était au chaud. Il a même débattu avec les quelques poissons rouges du déluge, en apnée. Il a retenu son souffle longtemps pour ne pas sangloter, même si avec la pluie personne ne l’aurait vu. Il ne voulait pas, il voulait tempêter, que la colère gonfle et fasse exploser les stratagèmes autoritaires. Un naufragé qui chantait, parce que la houle n’arrête pas la sirène des pompiers. Il a prévenu toute la ville que le barrage là-haut, dans les montagnes de l’histoire, cédait. On a oublié les crues et les raz-de-marée, on a oublié l’eau qui dort, voilà que la digue rompt sous les coups qu’on lui porte sans réfléchir. Il se demande en combien de temps ça pousse, des branchies.

A ma fenêtre s’enflamment les couleurs de l’automne et j’ai l’âpre impression de me consumer dans le transitoire. Les feuilles rouges d’hier se mêlent déjà au brun boueux, s’enfouissent déjà pour nourrir la terre du prochain printemps, et je n’ai pas profité de ces grands feux pour réchauffer mon enthousiasme. J’étais engourdie de trop d’injonctions personnelles pour sortir respirer les grands vents. L’hiver n’a pas commencé mais je me sens nue, vide de m’être laissé porter par ce qui n’est pas moi. De l’air, de l’air ! La grande santé vient me sauver du marasme, je m’extirpe des basses nécessités que je me suis imposées pour vivre soudain, emplir mes poumons de la jouissance d’être, abandonnant à sa logorrhée le cours qui tourne sans considération pour l’automne. Je ne veux pas me réduire en m’imposant des cadres qui ne seront jamais des ouvertures sur moi, j’ai suffisamment d’existence pour me passer des bonheurs sur plan et des quartiers pavillonnaires de l’humanité. On va jouer au funambule et trouver l’équilibre entre être au monde et être à soi.

Lundi on avait du travail mais on est allé peser des pommes de terre. On a râlé, bien sûr, mais finalement on y est allé ensemble. On a bien aimé porter des cageots, remplir des paniers, revenir pleines de terre et bien manger. Aujourd’hui on est allé se promener, on a suivi mon itinéraire qui passe par l’écrin aux sapins, et ce soir on a regardé un Dupontel en mangeant la pizza maison, aux olives et au thon. On s’est remis au backgammon au café, avec le chocolat aux pralines qui devrait être trop sucré. Plusieurs fois, cette semaine, on a passé du temps à se plaindre, à discuter et à rire de nos anecdotes avant de revenir à nos tâches respectives. Quand tout semble arrêté et que je ne comprends plus pourquoi je continue comme si de rien n’était, ça me fait respirer d’avoir ces on à portée de vie.

Aspill

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