L’élection présidentielle américaine, cru double vingt, est peut-être le grand évènement de cette fin d’année – après les E ! People’s Choice Awards, évidemment.
C’est celui qui fait vibrer les rédactions du monde entier et les premières pages du Monde. Qui transforme en figures de proue les correspondants basés à Washington. Qui entraîne mille sondages brandis puis aussitôt contredits.
Sans nul doute, ce passage aux urnes s’annonce plus trépidant que le précédent. D’abord, parce que le tour d’avant, tous le croyaient gagné d’avance. Le résultat est connu : la démocrate Rodham Clinton s’est mangée le plafond de verre. Qui aurait imaginé « The Donald », grand manitou de la télé-réalité, self-made man au père millionnaire, maîtrisant la politique comme Balkany maîtrise le low profile, entrer à la Maison-Blanche ? Pas grand monde. En tout cas, pas ceux à qui la question était posée.
Il y a donc eu un raté. Trump n’était pas qu’un businessman mégalomane sexiste et raciste, mais avant tout un modèle de succès à la ricaine, pas si éloigné que ça de la sphère politique – il avait par exemple hésité à briguer l’investiture du Parti de la Réforme en 2000, avant d’y renoncer.
De l’autre côté du ring, la mascotte désignée des ânes bleus se nomme Joe Biden. Ancien vice-président du premier président noir américain, ses débuts balbutiants aux primaires démocrates l’avaient placé derrière ses concurrents Sanders et Buttigieg. Ce fut presque un mois après le caucus de l’Iowa – qui fit couler beaucoup d’encre pour sa désorganisation – qu’il repassa en tête.
Le parti, bousculé par des idéaux de plus en plus à gauche politiquement, s’est rapidement rassemblé derrière le vainqueur pour faire barrage au président sortant – malgré les divergences idéologiques, rappelées franchement par la représentante Alexandria Ocasio-Cortez, supporter jusqu’au-boutiste de Bernie Sanders : « Dans n’importe quel autre pays, Joe Biden et moi n’appartiendrions pas au même parti. »
En tentant d’éviter les supputations inutiles, il sera ici question de proposer un tour d’horizon des problématiques soulevées par cette élection. Soit Donald Trump est ré-élu, soit Joe Biden, à soixante-dix huit ans, deviendra le plus vieux président entrant de l’histoire des États-Unis – record précédemment détenu par … Donald Trump lui-même ! Alors, l’EHPAD blanc de l’oncle Sam va-t-il virer du rouge au bleu ?
Des candidats trop âgés ?
Trump, pour qui plus c’est gros, plus ça passe, n’hésite pas à qualifier à tout va son adversaire de « Sleepy Joe » sénile, quand Biden est son aîné de quatre ans seulement. Pour certains, c’est le signe de l’expérience, pour d’autres, c’est aberrant. Quelle que soit l’issue du vote du 3 novembre, on n’ose pas imaginer le budget couche de la Maison-Blanche – à soixante-quatorze ans, Trump, si réélu pour un second mandat, détiendrait le record du plus vieux président sortant.
Après plus de quarante années passées en politique, l’ancien veep a pour sa part choisi d’insuffler un vent de jeunesse dans son ticket, avec la dorénavant très médiatisée Kamala Harris – présentée comme un melting-pot sur patte. Et alors que l’espérance de vie moyenne aux USA est de soixante-dix huit ans – bon, c’est une moyenne ! Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure – une disparition de Biden avant le terme de son mandat ferait de la sénatrice californienne la première femme présidente.
Une élection truquée ?
La question qui monopolise la conversation est : Trump, s’il perd, acceptera-t-il de reconnaître sa défaite ? Criera-t-il au scandale ? Ses partisans se presseront-ils dans les rues pour y scander des slogans fascistes ? En effet, Trump a qualifié de frauduleuse une élection qui, en raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de coronavirus, recourra majoritairement au mail-in voting.
La polémique s’est amplifiée après la question d’un journaliste « Vous engagez-vous à assurer une transition pacifique du pouvoir après l’élection ? » lors d’une conférence de presse – un journaliste a priori assuré de la victoire du challenger. Trump, dans sa réponse, ne s’est engagé à rien.
Face aux manifestants qui dénoncent un racisme étouffant l’Amérique et à la division qui se renforce chaque jour entre pro et anti MAGA (Make America Great Again), l’Oncle Donald semble prendre plaisir à jeter de l’huile sur le feu.
Trump (auto-)éclaboussé
L’ardoise se ternit pour Monsieur « You’re fired ! ». Il est la star malgré lui de la rentrée littéraire outre-Atlantique. Michael Cohen a préparé un portrait au vitriol de son modèle, comme sa nièce, la docteur Mary L. Trump qui, dans un livre à la sortie très médiatisée, le décrit comme un « tricheur dans l’âme ». La cerise sur le gâteau ? Une série d’entretiens accordés à Bob Woodward, le journaliste du Watergate, dans lesquels le président se contredit puissance dix mille, et dévoile sans-gêne ses bobards. Vous avez dit débile ?
Il y a un point sur lequel ces deux mâles blancs sont à égalité : les comportements inappropriés. La journaliste E. Jean Carroll accuse Trump de l’avoir violée (oui, on est bien sûr loin des « comportements inappropriés » mentionnés plus tôt) dans les années 1990 – elle a d’ailleurs perdu son emploi à Elle, suivant ses déclarations. Donald a nié. Elizabeth Jean le poursuit donc actuellement pour diffamation. Mais Donald a nié pendant qu’il était en fonction, donc le ministère de la Justice se charge de le représenter. Un bon moyen d’étouffer l’affaire.
Pour Joe, il semble clair qu’il a les mains baladeuses – il a d’ailleurs posté une vidéo d’excuses/non-excuses en avril 2019 dans laquelle il explique que ça fait partie de son job de politique d’être au contact des gens. L’affaire qui ressort – elle aussi magnifiquement étouffée – est celle de Tara Reade. Alors qu’elle travaillait pour lui au Sénat, Biden l’aurait agressée sexuellement.
Fake news et dérapages au programme
Depuis 2016, la fake news fait partie du vocabulaire courant. Cette campagne, à l’image de celle de 2016 (et du brillant Pizzagate) ne va pas faire dans la dentelle : en plus des vidéos fallacieuses relayées par Donald Trump sur son compte Twitter, les posts des partisans de QAnon, des complotistes d’extrême droite qui considèrent Trump comme leur sauveur face à l’Establishment pédophile et sataniste qui rongerait les États-Unis, inondent la toile – ainsi que d’autres sites, parmi lesquels « Breitbart News » et « The Daily Caller ». Trump, faisant mine de ne pas y toucher, ne les condamne jamais. Même son de cloche vis-à-vis de Kyle Rittenhouse, cet ado de 17 ans, qui, lors des émeutes de Kenosha, consécutives à la mort de Georges Floyd, a abattu deux personnes avec un fusil AR-15 : Trump n’a pas condamné son acte – oui, car comprenez, c’était de la légitime défense.
Le résultat des élections au Congrès
Lors des élections de novembre, en plus d’élire un nouveau président, les citoyens américains désigneront leurs représentants au Congrès, qui est un enjeu tout aussi crucial. Le Sénat américain, actuellement au main des républicains, peut-il passer démocrate ? Et la chambre des représentants va-t-elle rester aux mains des équidés ? Car si Biden est élu mais fait face à une chambre dominée par les éléphants, l’obstruction sera de mise – et inversement, comme cela fut le cas pendant ces deux dernières années.
La vague progressiste de 2018 se poursuivra-t-elle ? Les statistiques ont montré que la participation des personnes non-blanches avait été plus forte aux élections de mi-mandat qu’en 2016, au moment de l’élection présidentielle. Il faut, selon le New York Times, que Biden réussisse à « convaincre ceux qui n’ont pas voté en 2016, mais qui se sont déplacés en 2018 pour contrôler les effets de la politique de Trump [en élisant des représentants démocrates à la Chambre des représentants] ».
Reste à savoir quels autres événements pourraient influencer le résultat du scrutin. La mort de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, à l’âge de 87 ans, a offert à Trump la possibilité de nommer, en la personne de Amy Coney Barrett, une juge conservatrice à la Cour suprême.
Le premier débat présidentiel – sur les trois prévus – s’est révélé être un très mauvais stand-up. Trump a sans cesse interrompu Biden, lequel a souvent échoué à s’exprimer clairement, jouant sur de trop nombreux tableaux : rassembler les démocrates, attirer des supporters de Trump déçus par le président et convaincre les indécis. L’heure et demie a été décrite comme une querelle de cour de récréation, dont la grande perdante est la démocratie américaine.
À l’instant t, la Maison-Blanche du 20 janvier 2021 n’est ni rouge, ni bleue. À la place, un mélange violet se fraye un chemin le long de ses colonnes immaculées.
Matéo Ki Zerbo.
À découvrir également :
Gilles Paris, Jérôme Cartillier, Amérique années Trump, Gallimard, 2020.
« The First Presidential Debate on CNN », CNN, 2020. URL : https://www.youtube.com/watch?v=yHFI8TsSKXY
« Présidents », présenté par Fabienne Sintes, France Inter, 2020. Une série en huit épisodes, proposant huit portraits de présidents américains. URL : https://www.franceinter.fr/emissions/presidents