Netflix, Apple TV+ & cie : ne regardez pas de trop près

« Tu as vu le dernier Cuarón ?

_ Du tout.

_ Pourtant c’est sur Netflix. »

Ce mot de sept lettres est devenu le amen moderne. Son père, le messie Reed « tudum » Hastings, nous prêche la bonne parole tous les mois via ses apôtres You, La Casa de Papel, Riverdale. Nous ne comptons plus les nuits blanches, les attentes interminables pour revoir nos personnages préférés et les difficiles négociations avec nos géniteurs pour qu’ils conservent leur abonnement cinq écrans (parce que cinq, c’est un joli chiffre). 

Mais depuis quelques mois, la concurrence sort de son terrier. Le monopole netflixien est en jeu : Apple a ouvert sa plateforme en novembre dernier. Disney + débarquera sur nos écrans en mars 2020 et d’autres services comme Amazon Prime Video et HBO max sont impatients à l’idée d’envahir le marché européen. 

À première vue, la guerre est déclarée.

Netflix, géant bien installé.

Netflix s’est distingué en 2013 grâce à deux hits qui ont totalement renouvelé le paysage séries : House of cards d’un côté et Orange is the new black de l’autre. La première papotait politique et trahison avec pour tête d’affiche deux grands acteurs de cinéma – chose rare à l’époque – tandis que la deuxième dépeignait des femmes (whaou) en milieu carcéral (double whaou). Cette formule, Netflix a tenté de la renouveler : des stars de partout d’un côté (Grace & Frankie, The Crown saison 3) et de l’autre, des histoires originales en accord avec l’air du temps (When they see us, Sex education). 

Une concurrence timide.

Pour faire trembler Goliath, David ne peut donc pas venir les mains vides. Très vite, il a semblé clair qu’Apple TV+ comptait jouer davantage sur un parterre de stars surpayées plutôt qu’un contenu original – en témoigne The Morning Show, série sur les coulisses d’une matinale télé, avec Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et Steve Carell. La com’ était au rendez-vous, en témoigne l’ouverture d’un compte instagram par Jennifer Aniston (oui oui, vous avez bien lu) quelques semaines avant le lancement de la série.

« Et pourquoi vous avez rejoint la communauté instagram ? demandait un innocent présentateur de Late Show. 

_ Sincèrement ? Parce que j’ai reçu deux millions de dollars par épisode. »

Je vous rassure, nous étions plus proche d’un « pour mes fans évidemment ». 

Bref, dans l’hexagone et le monde, Apple TV+ n’est pas forcément la crainte première de Netflix. Pour le moment, son offre très limitée et ses épisodes qui sortent à un rythme hebdomadaire n’en font rien de plus qu’un compétiteur balbutiant. 

Le vrai concurrent n’est pas non plus Amazon Prime Video, dont la pénétration des marchés étrangers (entendez “non-américains”) est encore limitée. Ses contenus originaux sont rarement de véritables succès critiques et publics (à part récemment The Marvelous Mrs.Maisel et American Gods) (1).

Disney sort de son terrier.

Non, la menace fantôme, c’est Ricky Strauss, à la tête du service Disney +. Fini de rire (2). La compagnie de Bob Chapek a acquis Lucas film, les studios Marvel, la 20th Fox et compte bien offrir à ses abonnés Les Simpsons, Star Wars et autres Avengers, le tout dans moins de dix jours en France et pour un prix cassé par rapport à l’offre Netflix. Est-ce dès lors gagné pour Mickey Mouse ? Pas si sûr. Dans son catalogue « mainstream » (entendez par là qui convient à toute la famille), il n’y a pas l’air d’y avoir de Stranger Things, Black Mirror ou autres Narcos mais plutôt des dérivés à gogo de Captain America (avec la série The Falcon and the Winter Soldier, dont la production vient d’être mise en stand-by pour cause de SARS-CoV-2) et La guerre des étoiles. Les productions de la maison des idées risquent de ne pas être aussi originales et percutantes que certaines créations Netflix l’ont été et continuent de l’être. 

Un défi d’originalité s’impose …

Côté originalité, cette année, Netflix a mis les bouchées triples : The Irishman, Marriage Story et The two popes lui ont permis de compter sous sa bannière une vingtaine de nominations aux derniers Oscars (mais de ne récolter que deux statuettes). La branche film de Netflix, consacrée l’an passé grâce au Roma d’Alfonso Cuaron, s’impose déjà comme une référence. Alors Disney + a sorti Togo, succès critique porté par Willem Dafoe – mais passé presque inaperçu – et HBO max a d’ores et déjà annoncé un film réalisé par Steven Soderbergh (Erin Brockovich, la trilogie Ocean’s), avec la multi récompensée Meryl Streep, prévu dans les mois du lancement de sa plateforme en 2020 aux États-Unis – et 2021 en Europe (3).

… et la lutte se déplace.

Il convient alors de nous interroger sur la place que la plateforme de streaming tiendra dans cette deuxième moitié de première moitié du 21e siècle. Au départ, il s’agissait de proposer des films déjà sortis, des téléfilms insignifiants mais surtout des séries originales, consommables en intégralité dès leur mise en ligne. Puis les films de grands maîtres du septième art sont apparus. Quelle est la prochaine étape ? La création d’une émission d’actualité quotidienne ou hebdomadaire ? Des programmes de télé-réalité à succès ? Ces plateformes vont-elles entraîner la fin de la télévision, notamment en France ? 

La télévision, espèce en voie d’extinction ?

Le groupe public France télévision et les groupes privés TF1 et M6 se sont rassemblés en 2019 pour créer Salto, plateforme de streaming française – rassemblant JT, séries et films majoritairement français – qui devrait débarquer chez nous à l’été 2020, pour peut-être tenter de sauver le navire avant qu’il ne soit trop tard (4). Car plus que des conflits de contrôle du marché, ces entreprises de streaming vont nous conduire à repenser – et cela a déjà commencé – nos manières de consommer des séries, des films, au détriment des vieux acteurs que sont les chaînes de télévision et le marché du DVD. Bientôt, il sera sûrement normal de cumuler les abonnements à des plateformes de streaming : Amazon Prime Video et Netflix ou Netflix et Apple TV+ ou encore HBO max et Disney+ … pour profiter au mieux de l’offre gigantesque qui se profile. Dès lors, les chaînes hertziennes deviendront de lointains souvenirs, jetés sous des tramways plein de désirs. 

Une programmation qui lasse.

De fait, les chaînes traditionnelles semblent lasser avec une programmation qui ne se renouvelle pas. À titre de comparaison, aux États-Unis, les scores live des cinq grands networks (ABC, NBC, Fox, The CW et CBS) se sont effondrés au cours des dix dernières années, et les succès d’aujourd’hui sont les émissions qui, avec les mêmes audiences, auraient été annulées il y a quinze ans, preuve s’il en est que les temps changent. Ces téléspectateurs, pour beaucoup, se sont tournés vers le streaming en ligne (5). On a dénombré dix millions d’américains inscrits à Disney + dès son lancement. 

Les problématiques sont nombreuses concernant le déploiement de ces géants du streaming et leurs limites ne sont pas connues tant ils tendent à se renouveler. Qui, en 2013, avait prévu que le dernier Scorsese se retrouverait sur Netflix et uniquement sur Netflix six ans plus tard ? 

Ainsi, la compétition ne serait pas entre les différentes plateformes de streaming légal, toutes promises à un bel avenir, mais avec les formes « traditionnelles » de consommation de films en salle ou de visionnage des informations à 20h précise. En se diversifiant de plus en plus, Netflix & cie gagnent du terrain. Progressivement se crée devant nous, doucement mais sûrement, le futur des industries télévisuelle et cinématographique, formatées pour loger sur nos écrans de téléphones et nos tablettes. Ouvrons grand les yeux : le spectacle ne fait que commencer !

1-https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/amazon-contre-netflix-le-match-de-deux-geants-dans-le-streaming-video-140758

2- https://www.generation-nt.com/netflix-perte-abonnes-disney-apple-tv-actualite-1970806.html

3-https://www.purebreak.com/news/hbo-max-le-prix-le-catalogue-et-la-date-approximative-de-sortie-la-france-devra-patienter/184681

4-https://www.telerama.fr/television/en-dix-ans,-les-audiences-tele-ont-baisse-%28mais-tf1-reste-la-premiere-chaine%29,n5427094.php

5-https://www.hollywoodreporter.com/live-feed/five-years-network-ratings-declines-explained-1241524

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