Pas d’idée de cadeau pour votre petit frère ou petite soeur ? Aucun souci, voilà un chef-d’œuvre qui offrira la plus belle des leçons de vie à ce petit animal politique, un bijou de la littérature, mesdames et messieurs : Le Théâtre de Barbapapa, dont votre serviteur vous propose la plus fine analyse. Écrit par Annette Tison et Talus Taylor, un couple d’auteurs franco-américain, à l’origine de la série des Barbapapa. Le premier tome de cette série qui deviendra culte, prendra naissance en 1970, et vit encore de très belles heures en 2021.
Alors, pourquoi un livre sur le théâtre alors que nous approchons de Noël ? Pourquoi ce cadeau à Noël ? Alors que l’époque est plus à l’air des drones, des smartphones, aux petits gadgets inutiles que nous exposent les publicités de Noël.
D’abord, nous n’avons pas spécialement besoin de Noël pour offrir un cadeau à nos proches. Noël est juste une occasion pour tous d’être généreux envers tous. Même si on se doit de reconnaître que Noël reste une fête spéciale pour laquelle il faut des cadeaux spéciaux. Et ce livre en est le parfait exemple.
Aussi, ce livre est une démonstration, nous donnant un accès à la nature même de la vie humaine car la vie est un théâtre. Que ce soit du haut de nos quatre-ans ou à quatre-vingts ans, nous sommes en scène dès que nous apparaissons devant autrui. Nous feignons la joie pour peindre un décor parfait. Parfois, nous nous essayons à la colère, le monde en fait les frais. Notre masque s’aiguise et nos rôles se précisent. Nous pouvons mimer la déception, pour ne pas se surprendre à s’en foutre, quand tout le monde est préoccupé. « Nous sommes les acteurs de notre vie » : une pièce en un acte qui prend fin quand les masques de la Commedia dell’arte se brisent en mille morceaux sous le poids des rôles qui nous sont imposés.
Alors en offrant ce petit bijou, vous n’offrez pas seulement un livre pour bambin, vous permettrez à l’enfant de jouer le mieux possible sa vie et construire son meilleur personnage pour garder ce masque aussi longtemps que possible.
Faisons un petit résumé de ce fameux livre. Déjà, pour ceux ne connaissant pas l’épopée de Barbapapa, ce sont des livres alimentés par des dessins retraçant les aventures de Barbapapa, Barbamama et de leurs sept enfants. Leur faculté spéciale est de pouvoir se transformer en n’importe quel objet. Devons nous entendre par là que chaque homme est pour l’autre un objet que nous aimerions modifier pour qu’il puisse tout le temps nous servir ? Je ne sais pas… lisez les trois saisons et vous aurez la réponse. De plus, cette compétence donne une grande qualité aux personnages : jouer un rôle, pouvoir interpréter une nouvelle fonction qui serait la plus plaisante. Ce qu’il faut retenir : c’est une famille très gentille que tout le monde apprécie.
Et dans ce tome, elle est encore aimée de tous. La vie suit son cours, et au milieu de cette plénitude sucrée, une foire passe par le village. Immédiatement, les habitants se ruent pour participer aux festivités. Malheureusement, les forains, considérant que leur activité non déclarée aux impôts ne fera pas assez de profit dans ce hameau, décident de s’en aller dans une autre ville lointaine à environ 10 min de TER si la météo est clémente.
En réaction à cela, Barbapapa prend une décision, la fête aura lieu chez les Barbapapa. Et non chez les Barbamama, ou même Barbapapa-mama. Barbapapa a beau être gentil, il n’aimerait pas que Barbamama soit le nom de la série. Et nous ne voudrions pas qu’un élan d’émancipation de Barbamama puisse briser ce cocon d’amour patriarcal. Toute la famille participe pour réaliser les différentes activités. Tout ça de manière non lucrative. De jolies pratiques philanthropiques légitimant la domination sociale de Barbapapa sur sa femme et ses enfants. Alors, toute de même attention si vous offrez ce livre à un agent social dénué de sens critique, il pourrait voir dans le père l’image d’un homme altruiste qui a mérité sa position de dominant.
Et ils vont notamment faire une représentation théâtrale : La légende des barbachevaliers , une pièce en cinq actes écrite par la fameuse Barbotine, une fille de la famille. Cette pièce fait preuve d’une modernité inouïe dont les jeunes auteurs contemporains devraient s’inspirer. C’est l’histoire d’un chevalier allant sauver une princesse qui est l’élue de son cœur. Nous retrouvons l’image de l’homme chevaleresque vivant son odyssée à l’image d’Ulysse, une aventure que tout le monde rêve de vivre, cela m’émeut.
Maintenant que je vous ai un peu parlé de l’histoire générale, je vais vous interpréter quelques messages d’une profondeur inégalable envoyé par cet ouvrage.
À la page quatre une première leçon de théâtre quotidien sera donnée à votre protégé. Alors que tout le monde est déçu par le départ des forains, Barbouille un des enfants de la famille Barbapapa, qui lui aussi est triste on le voit à son visage mélancolique, décide d’émerveiller les autres enfants par ses talents de jongleur. Il joue l’acrobate pour plaire aux autres. Dans d’autres conditions il ne l’aurait jamais fait. Nous devenons ce que les gens attendent de nous.
Ensuite à la page neuf, « Bien que traditionnel le manège reste très apprécié. » “Bien que” est une conjonction de subordination qui souligne l’incompatibilité problématique de deux faits qui pourtant coexistent. Ici il est très clair que Barbapapa fait un lien direct avec la droite conservatrice qui, bien qu’elle soit traditionnelle, peut encore aujourd’hui plaire à de nombreux électeurs français. En témoignent les derniers sondages. Cette réalité-là est source d’incompréhension pour notre protagoniste, mais il masque sa surprise pour ne pas être remarqué, il veut garder son côté gauchiste pour lui. Par ailleurs, le premier carrousel en France a été installé par Henri IV, heureuse coïncidence.
Enfin, je veux vous parler d’un dernier paragraphe, qui se trouve page quinze, et concerne la présentation de la pièce. Ce moment est décrit dans le livre comme l’événement : l. 3 « le plus attendu ». À chaque instant de nos vies on attend une représentation d’un drame ou d’une comédie qui pourrait prendre la suite de la nôtre. À travers les dessins on voit aussi très bien que la famille Barbapapa est très heureuse de jouer. Pourquoi ? Car le théâtre est un moyen de mettre en scène nos rêves, nos souvenirs qu’on a déjà joués mille fois dans notre imaginaire. Barbotine met alors en place son rêve chevaleresque.
Au fait, même si vous pensez que le Bambin à qui vous offrirez ce livre ne saurait apprécier les messages de ce roman, sachez que la qualité du dessin est grandiose, ce qu’a fait le couple est remarquable. J’ai beaucoup parlé des mots et ce qu’ils peuvent transmettre. Mais, une image vaut mille mots. Ils donnent une projection de l’esprit, on comprend que pour ce couple que « le dessin n’est pas la forme, c’est la manière de voir la forme » E. Degas. On entend que, sous leurs coups de crayons, ils ont essayé d’immortaliser un moment plus que réel. En contradiction de ce réel il y a tout de même l’imaginaire du dessin, qu’il faut savoir prendre avec un certain recul pour capter tout son sens. Recul qu’on peut avoir à quatre ans – voire deux ans si précocité. En fait qu’importe l’âge, que ça soit votre petit ou grand frère, votre mère, père, oncle, tante, grand-mère il est toujours bon de transmettre la sagesse de Barbapapa.
Je vous ai donné tous mes arguments pour que vous fassiez un heureux cet hiver à défaut de vous rendre heureux. Même si au fond, c’est peut-être la même chose.
Bonne lecture !!
Sacha Derrien
Très très fort !
A quand une étude sociologique de la domination consentie dans Petit Ours Brun ?
T’écris comme un chef ! Bien joué 🙂
La légende des barbachevaliers, un classique.
Bel article, bravo monsieur Derrien!