#Jour 7 : Une fable de Noël

Décembre est là! Le sol, de neige recouvert

Nous fait nous blottir au coin d’un conte narré ;

Nos oreilles résonnent au doux sons de l’hiver,

Des clochettes, ou de la voix de Mariah Carey.

Loin d’ici, cependant, dans des contrées secrètes,

Pendant que nous jouissons d’une exquise paresse,

Voici des travailleurs que sans fin l’on maltraite

Prisonniers d’une fière et froide forteresse.

Si l’on jetait un oeil par la rare lucarne 

Perçant ses épais murs d’une pâle lumière,

On verrait tant de mains, qui sans répit s’acharnent 

À construire des jouets ; celles des lutins verts. 

Les journées sont longues mais ils n’ont pas le choix 

Bravant froid, faim, sommeil, et même la douleur ;

Seul le sang qui jaillit quand meurtris sont leurs doigts

Change de l’uniforme à la jade couleur.

Un long manteau rouge, une barbe luxuriante,

Le pas pesant et sûr qui arpente les rangs,

Leur patron les surveille ; pressé, il s’impatiente ; 

Noël est bien le nom de cet affreux tyran.

Suffisance et sadisme émanant de ses cris,

Un cigare fumant entre ses doigts ridés,

Il se met, entre les bouffées, plein de mépris,

(Sans mauvais jeu de mot) à les enguirlander : 

« Bougez-vous, les feignasses ! On a pris du retard !

S’agirait d’s’attarder sur un peu moins d’détails

Si vous t’nez à avoir de quoi bouffer ce soir !

Sortez-moi ces cadeaux, peu importe la taille,

La couleur ou le poids, avant demain matin !

Vous croyez qu’vot’ boulot c’est d’faire d’la qualité

Et des jouets qui durent, abrutis de lutins ?

Le mot d’ordre chez moi c’est rentabilité.”

Essoufflé, il s’arrête, et le travail reprend.

Nos pauvres prolétaires, exploités jusqu’à l’os,

Sont trop exténués pour honnir leur gérant,

Ce dictateur aimé, cet adulé colosse.

Au fil des années il a retourné sa veste

Perdant toute valeur, délaissant l’idéal ;

Il a changé Noël, sa fortune en atteste,

De l’artisanat à la multinationale.

Les rennes, ses coursiers, périrent sous le fouet

Et furent hâtivement remplacés par des drones,

Qui jamais ne fatiguent et livrent tous les jouets

Depuis que le patron traite avec Amazon.

De l’esprit de Noël il ne reste qu’un rêve,

Qui cependant s’exporte et se vend volontiers ; 

Combien nous faudra-t-il de ces lutins qui crèvent

Pour nous révolter contre un si cruel métier ?

A l’autre bout du monde, on ouvre les cadeaux :

Le papier s’arrache, le ruban se dénoue

Et l’on voit, sur la boite d’un jeu Nintendo,

Écrite avec du sang, la phrase “sauvez-nous”.

Lucien Felten

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