Fermeture de France Ô : passer outre les Outre-mer ?

France Télévisions perd une chaîne
La chaîne France Ô va disparaître, le 23 août 2020, de l’offre du groupe France Télévisions.

Clés d’analyse pour comprendre les problématiques soulevées par la fin de la chaîne orange (jaune depuis 2018) du groupe France Télévisions, dédiée à la représentation de la France d’outre-mer.

C’est en 2018 que le couperet est tombé : « La chaîne métisse », slogan de France Ô entre 2012 et 2014, quittera les ondes et les écrans noirs français le 9 août 2020 – coup de grâce finalement reporté au 23 août 2020, les programmes de France Ô bénéficiant de deux semaines supplémentaires à l’antenne.

La décision avait été intégrée au Plan de réforme de l’audiovisuel public1 présenté par l’ex-ministre de la Culture Franck Riester en décembre 2019 devant l’Assemblée nationale ; l’agenda parlementaire dudit projet de réforme a depuis été modifié en raison de la pandémie de coronavirus, le sort de France Ô restant toutefois acté.

Roselyne Bachelot, ministre de la Culture du gouvernement Castex, aura pour mission de mener à bien le Plan de réforme de l’audiovisuel public.

La loi de l’Audience …

0,3 %.

La cause évidente de cette fermeture est l’audimat : l’audience de la chaîne lancée en 2005, succédant à RFO Sat au sein du groupe France Télévisions, ne brille pas, avec 0,3 % de Part d’Audience (PdA) en France métropolitaine en 20192. Il n’était même plus demandé à Médiamétrie, l’institut spécialisé dans la mesure du nombre de téléspectateurs, de la mesurer quotidiennement.

Même constat du côté des Outre-mer, où la chaîne est devancée par les canaux traditionnels (France 2, France 3) et la branche ultramarine de France Télévisions, le réseau la 1ère3. Nous noterons toutefois que sa PdA y est meilleure qu’en métropole.

Dès lors, les chiffres semblent corroborer l’idée selon laquelle le lien entre les départements d’outre-mer et métropolitains ne se faisait pas prioritairement par le biais de France Ô. La chaîne, qui disposait d’un budget annuel de 30 millions d’euros, n’aurait pas résisté à la loi de l’Audience, échouant à accomplir son rôle de liant.

Point final ? Pas sûr. Les audiences ne sont pas définitives et découlent de la programmation d’une chaîne, de la promotion dont elle bénéficie, de la création de programmes forts et fédérateurs. Regardiez-vous France Ô ? Ou la zappiez-vous systématiquement, faute d’y trouver une émission qui sût capter votre attention ?4

Expliquer des résultats décevants.

Ce désintérêt provient d’une ligne éditoriale floue : France Ô était un France 3 Régions pour les Outre-mer aux aurores et à midi, une chaîne de rediffusion de feuilletons des chaînes sœurs l’après-midi, et un mélange de séries et de documentaires (rarement des films) en soirée – une programmation sans un seul mastodonte télévisuel et promue inefficacement.

Il est peut-être ici essentiel de distinguer ces deux derniers points : d’une part, la programmation, d’autre part, la promotion. Une chaîne comme Gulli par exemple (canal 18 de la TNT) n’a pas besoin d’une publicité colossale pour assurer son audience, la chaîne bénéficiant d’une ligne éditoriale claire – « Gulli, la chaîne préférée des enfants … gentils !».

À l’inverse, une chaîne qui bouscule sa ligne éditoriale pour se façonner une nouvelle image – comme ce fut le cas de TMC il y a quatre ans – doit pouvoir bénéficier d’une importante publicité, principalement sur les autres chaînes de son groupe. En ce qui concerne TMC, ce fut avec la diffusion de son programme fort, Quotidien, en deuxième partie de soirée sur TF1 et d’une pastille, Quotidien express, en remplacement de C’est Canteloup. Ainsi, l’émission quotidienne de Yann Barthès a fortement contribué à redynamiser la chaîne monégasque.

Pour reprendre le cas de France Ô, elle était parfois la chaîne des Outre-mer, puis des rediffusions de programmes métropolitains, puis des séries américaines embrassant la diversité et le rire gras. Malheureusement, la chaîne échouait à réunir la métropole et les Outre-mer – soit en les traitant séparément et non simultanément, soit en se refusant à traiter uniquement la France d’outre-mer. Ces dernières années, elle n’avait pas non plus de « vitrine » cinéma – quand bien même les records d’audience de la chaîne, jamais au-dessus du million de téléspectateurs, ont été établis par des films5. Mais pourquoi tenter un tel investissement sur une chaîne qui ne marche pas ? Comment rentabiliser une programmation plus audacieuse si celle-ci échoue ? France Ô s’est probablement engouffrée dans une spirale infernale, les faibles résultats d’audience n’encourageant pas la prise de risques.

Original Cinema Quad Poster – Movie Film Posters. Out of Africa (1985), réalisé par Sydney Pollack.
Ce drame romantique est le deuxième plus gros succès d’audience de France Ô, avec 677 000 téléspectateurs et 2,9% de PdA au moment de sa diffusion, le 28 mars 2016.

Une tribune tombée à l’Ô.

La tribune parue dans le journal Libération le 27 juillet 2020 « 125 personnalités lancent un appel pour sauver France Ô » proposait que le groupe situé à Malakoff embrasse pleinement une programmation honorant les Outre-mer, en défendant « une chaîne des Outre-mer qui doit s’adresser tant au public ultramarin que métropolitain épris de découverte, curieux du monde et de sa diversité ». Le texte regrette également le défaut de programmation dont a pâti la chaîne, sans aucun doute moins soutenue que ses consœurs.

Des événements, comme les Jeux Olympiques d’été 2024 à Paris, auraient permis, selon les signataires, de fédérer davantage de téléspectateurs. De surcroît, l’enjeu climatique actuel justifiait que France Ô devienne un relayeur de la nécessaire protection de la biodiversité – « France Ô doit devenir la chaîne de service public dédiée à la transition écologique, à l’environnement, à la biodiversité, 85% de la biodiversité française se situant outre-mer. »6.

La mort de France Ô s’inscrit dans une volonté de révolutionner l’audiovisuel public, tout au moins d’en faire bouger les lignes, en supprimant ce qui, d’un point de vue chiffré, ne fonctionne pas. Ce départ peut être compris à l’aune des concepts développés ci-avant de programmation et de promotion télévisuelles.

Ces explications seraient satisfaisantes si France Ô était une chaîne comme une autre, se fondant dans une offre quasi-uniforme. Seulement, France Ô est aussi un symbole, un lien particulier, dont le démantèlement ne saurait passer inaperçu.

au détriment de la représentation télévisuelle des Outre-mer ?

La représentation des Outre-mer en métropole.

« La disparition de France Ô crée une lacune, un fossé supplémentaire » entre la France des Outre-mer et la France métropolitaine, déplore Marcel Dorigny, professeur d’histoire à l’université de Paris VIII Vincennes – St-Denis et co-signataire de la tribune publiée dans Libération.

Le dernier baromètre de la diversité publié par le CSA faisait état d’une plus grande représentation des personnes perçues comme « non-blanches » dans les fictions françaises diffusées sur France Ô que sur les autres chaînes – le taux est de 86/14 (86 % de personnes perçues comme « blanches » et 14 % de personnes perçues comme « non-blanches ») pour les fictions françaises, et passe à 90/10 lorsque les programmes de France Ô sont écartés de la mesure7.

Pour Maurice-Antoine Lafortune, autre co-signataire de l’appel, originaire de Martinique, l’attachement à la chaîne est d’abord « sentimental ». Le magistrat honoraire à la Cour de cassation note avant tout que la disparition de France Ô marque la fin d’un « affichage » pour les Outre-mer sur la télévision de la France métropolitaine, sur l’écran mais aussi dans les pages des magazines de presse de télévision français8.

Différer le problème ?

La fermeture de France Ô doit servir à « décloisonner les Outre-mer et [à] leur donner plus de visibilité sur la totalité de l’audiovisuel public »9 selon Sébastien Lecornu, actuel ministre des Outre-mer. C’est le leitmotiv repris par l’ensemble du gouvernement – en plus de souligner que cette fermeture ne donnera lieu à aucun licenciement. Mais au vu des 0,3 % de PdA de France Ô, les chaînes généralistes, faisant face à une forte concurrence, donneront-elles davantage de place aux Outre-mer dans leurs grilles ? Car la loi de l’Audience reste de mise, et le service public doit affronter la rude concurrence de grands groupes privés – TF1 et M6 en première ligne.

« L’idée annoncée est que les chaînes nationales devront intégrer des actualités des Outre-mer, des films des Outre-mer … Pourquoi pas. Mais, sauf s’il s’agit d’une contrainte impérieuse – dans le statut de ces chaînes – elles ne vont, à mon avis, pas le faire. Ou très peu, c’est-à-dire a minima, pour respecter un quota. C’est une façon de différer le problème, en renvoyant les Outre-mer aux chaînes nationales généralistes » analyse Marcel Dorigny. Le pessimisme est ici de mise. Or, la prudence nous invite à attendre le bilan de la mise en place, ou non, des engagements imposés par la Rue de Valois et le ministère des Outre-mer au groupe France Télévisions. Le Pacte pour la visibilité des Outre-mer, auquel il est ici fait référence, entend garantir la présence, quantitative et qualitative, des Outre-mer sur toutes les chaînes de France Télévisions.

En attendant, le futur de France Ô se poursuit sur le site internet Outre-mer la 1ère lancé en juin 2020, dont les audiences seraient pour le moment « encourageantes » d’après un communiqué du ministère de la Culture.

L’enjeu premier reste d’apporter sur France 2, France 3, France 5 et France Info une représentation plus importante et juste des Outre-mer – et de continuer à l’accroître ! En effet, il ne faudrait pas que ces derniers quittent la grille des programmes de France Télévisions, tout comme le « modèle de vivre ensemble et de tolérance »10 que promouvait jusqu’ici France Ô au sein de l’audiovisuel public français.

Matéo Ki Zerbo.

A lire aussi : Entretien avec Marcel Dorigny, historien, signataire de la tribune pour la conservation de la chaîne France Ô, cité dans cet article.

Notes de bas de page :

1Le plan vise, pour le gouvernement, à réaliser 190 millions d’euros d’économie (Geoffrey Lopes, « Réforme de l’audiovisuel 2019 : ce qui va changer à la télévision », La Croix (site internet), le 12/09/2019, modifié le 6/12/2019, consulté le 12/08/2020. Disponible à l’URL suivante : https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Reforme-laudiovisuel-2019-changer-television-2019-09-12-1201047053 ).

2D’après « Les chiffre | France Télévisions », page web consultée le 11/08/2020. Disponible à l’URL suivante : https://www.francetelevisions.fr/groupe/qui-sommes-nous/chiffres-133. L’appel paru dans Libération pour sauvegarder la chaîne France Ô s’appuie sur le chiffre de 2018 de 0,6 % de PdA.

3Voir les rapports annuels publiés par Médiamétrie (pour Mayotte à l’URL suivante : https://www.mediametrie.fr/fr/laudience-de-la-television-et-de-la-radio-mayotte-0, pour la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion à l’URL suivante : https://www.mediametrie.fr/fr/metridom-laudience-de-la-television-dans-les-departements-doutre-mer-guadeloupemartiniquereunion-1 ).

4Nous évitons néanmoins de rentrer dans le débat, si cher aux philosophes, du goût.

5La moitié de ses six meilleures audiences, entre 2005 et 2020, sont des films : Out of Africa, Moonraker et Goldfinger.

6Collectif, « 125 personnalités lancent un appel pour sauver France Ô », Libération (site internet), le 27/07/2020, tribune consultée le 5/08/2020, disponible à l’URL suivante : https://www.liberation.fr/debats/2020/07/27/125-personnalites-lancent-un-appel-pour-sauver-france-o_1795326.

7D’après « Les résultats de la vague 2018 du baromètre de la diversité », consultable à l’URL suivante : https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Travaux-Autres-publications/L-observatoire-de-la-diversite/Les-resultats-de-la-vague-2018-du-barometre-de-la-diversite.

8La notion d’affichage expliquée ci-avant rejoint l’intitulé de l’article de Julien Sartre « Avec la fin de France Ô, l’Outre-mer privé de voix », publié dans Médiapart et mis en ligne le 10 août 2020.

9Déclaration disponible sur le compte Twitter de Sébastien Lecornu.

10Collectif, « 125 personnalités lancent un appel pour sauver France Ô », Libération (site internet), le 27/07/2020, tribune consultée le 5/08/2020, disponible à l’URL suivante : https://www.liberation.fr/debats/2020/07/27/125-personnalites-lancent-un-appel-pour-sauver-france-o_1795326.

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