Entretien avec Coralie Chevallier, vice-présidente de formation de PSL et directrice du CPES : « Je voudrais avant tout poursuivre le projet qui a été mis en œuvre. »

Chercheuse en sciences cognitives et en sciences comportementales à l’ENS au laboratoire de Neurosciences cognitives et computationnelles, Coralie Chevallier est depuis janvier 2021 la vice-présidente de formation de PSL et la directrice du CPES. Covid oblige, notre rencontre de trente minutes s’est déroulée par vidéo-conférence.

Bonjour Madame Chevallier, et merci de nous accorder cette interview. Commençons par le commencement : vice-présidente de formation de PSL et directrice du CPES depuis janvier 2021, quelles sont les raisons vous ayant conduite à accepter ces responsabilités ?

Plusieurs choses. D’abord, je trouve que le travail administratif, dans la vie des chercheurs, n’est pas une charge. Pour certains chercheurs, ce n’est pas la partie de leur métier qu’ils préfèrent. Or, je trouve qu’on peut vraiment changer la vie des étudiants quand on réfléchit à cette partie administrative. Ensuite, j’apprécie beaucoup le projet de PSL et, en particulier, le projet du CPES qui essaye de tenir les deux bouts de la corde : l’excellence et l’égalité des chances. Il ne faut pas faire l’un sans l’autre. Enfin, je suis très impliquée sur les questions de développement durable. Depuis le début, je suis contente qu’on étende le modèle très pluridisciplinaire du CPES à la question spécifique du développement durable, il y a un vrai enjeu (Ndlr : avec la licence “Sciences pour un monde durable”).

Vous arrivez à jongler entre les trois – faire de la recherche, donner des cours et être présidente du CPES ?

Ça, je ne sais pas. Seul l’avenir le dira. Je fais de mon mieux !

Vous évoquez la nouvelle formation de PSL centrée sur le développement durable. Avez-vous un avis sur la polémique liée aux financements apportés par la BNP Paribas ?

Je ne sais pas quoi vous dire. Enfin si, je peux vous dire des choses, mais je n’ai pas envie de polémiquer. Je préfère parler du contenu de cette formation, de ce qu’on y fait et de ce qu’on y apprend.

Maintenant que vous êtes à la tête du CPES, quels changements aimeriez-vous y impulser ?

Je voudrais avant tout poursuivre le projet qui a été mis en œuvre. Évidemment, comme toutes les formations, elle a ses petits défauts. Mais, pour le moment, je ne vois pas de raisons de faire un grand chambardement. La formation tient ses promesses d’allier le meilleur de la prépa et le meilleur de l’université. J’aimerais y introduire plus d’anglais, à travers des cours en anglais, parce qu’un certain nombre d’étudiants du CPES se destinent à des masters dans cette langue. Puis, il y a une demande relative à l’organisation de mobilités étudiantes pendant le parcours, pour donner aux élèves la possibilité de partir à l’étranger. Les étudiants de la formation « Monde durable » vont, pour leur part, partir à l’étranger au dernier semestre de la L3.

À mesure que le modèle du CPES gagne en visibilité, une plus grande sélection à l’entrée peut être redoutée. Pensez-vous que le principe d’égalité des chances dont vous parlez pourra se maintenir ?

Je pense qu’il est maintenable mais en demandant plus d’efforts. Tout se joue à deux niveaux : le premier, en amont, concerne les dispositifs mis en place – par exemple, Cordées de la réussite. Il faut limiter l’autocensure, pour que les étudiants d’origine modeste aient des aspirations alignées sur leur niveau. Le deuxième effort se passe en aval, une fois que l’on a réussi à « attirer » des étudiants d’origine modeste. Comment fait-on pour les accompagner vers la réussite ? Je trouve qu’on pourrait faire les choses différemment. Parce que c’est difficile pour ces étudiants, dans des formations d’excellence, élitistes et très sélectives. Je voudrais trouver la bonne manière d’accompagner ces étudiants vers la réussite. Je n’ai pas la solution. Il faut en envisager plusieurs et déterminer de manière rigoureuse et scientifique lesquelles ont le plus de chances de fonctionner, en vérifiant, avec des indicateurs comme les notes, si les méthodes adoptées sont prometteuses. 

Vous parlez de choses à faire différemment en aval. Quoi par exemple ?

En aval, il y a un certain nombre d’associations qui font du bon travail, comme Article 1, en proposant des dispositifs d’accompagnement vers la réussite. Une autre chose, c’est le logement, qui constitue un des freins principaux d’accès aux formations de l’enseignement supérieur dans Paris pour les étudiants d’origine modeste. On travaille sur ce dossier, pour que la question du logement ne soit pas une source immense de préoccupations. En amont, si on peut dire, lorsque vous êtes boursiers à PSL, vous n’aurez pas à vous préoccuper du logement. En aval, il s’agit d’un facteur de confort, entraînant un souci de moins. 

La question de la précarité étudiante se pose fortement depuis janvier. Quel est votre avis concernant la situation des étudiants ?

Que ça n’est pas facile. En me souvenant de ma propre vie d’étudiante, extrêmement remplie de vie sociale, je me dis que c’est très triste, en ce qui concerne la partie vie sociale. Pour la partie formation, je suis très contente que les premières années aient pu revenir en cours en présentiel tout le temps. Ils ont à peine eu le temps de se connaître. Les enjeux de solitude sont encore pires pour eux. De manière générale, passer sa journée sur Zoom demande une concentration plus grande qu’en cours. La situation est vraiment difficile. En revanche, d’un point de vue purement objectif, au niveau des notes du premier semestre, il n’y a pas de décrochage particulier cette année. 

Quelles adaptations avez-vous ou allez-vous mettre en place pour combattre la précarité financière et le manque de liens sociaux des étudiants ?

Je ne sais pas. On a évoqué plein de choses : le lancement d’un tutorat, de groupes de travail. On est tous en train de se dire qu’il faudrait qu’un morceau de la vraie vie reparte. Je me sens assez désemparée. Évidemment, il y a des solutions nécessaires qui sont mises en place, comme par exemple de vérifier que le service santé fonctionne, qu’on a bien retransmis régulièrement les dispositifs de la Mairie, les services d’écoute. En cas de forte détresse, il faut que les étudiants sachent vers qui se tourner. Mais ça ne change pas le fait que les vendredis et samedis soir, il n’y a pas de fêtes. Au bout d’un an, ça devient pesant. 

Un moyen de l’exprimer pour les étudiants a, par exemple, été le recours à la tribune et au témoignage publiés dans la presse. 

Que les étudiants prennent la parole, c’est bien. Après, je souhaite qu’on soit des interlocuteurs privilégiés. Les délégués doivent être mis rapidement en contact avec les coordinateurs de disciplines et de filières, qui sont des gens très engagés. C’est très bien de prendre la parole publiquement, mais il faut aussi activer la parole interne, parce que des choses peuvent se résoudre en interne. Il faut faire les deux. 

En parlant de prendre la parole, le compte #PSLToo a été lancé sur Instagram, recensant des témoignages de victimes d’agressions sexuelles. Voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet ?

Justement, c’était un très bon exemple de bonne communication interne. Le BDE nous a prévenus au moment de la mise en ligne du compte. Je le regarde tous les jours. Cela nous a permis d’envoyer cet e-mail aux étudiants avec un résumé de tous les points de contact. On a prévenu les autres établissements de PSL pour qu’ils puissent, eux-aussi, s’organiser et faire la même chose s’ils le souhaitent. On a également écrit aux enseignants. Sinon, concernant le fond, je trouve que c’est très bien qu’il y ait un espace de libération de la parole. Je trouve aussi que ce qui est sur le compte pour le moment respecte à la fois l’identité des victimes et l’identité des … je ne veux pas dire coupables. Mais des … je ne sais pas comment dire …

Des agresseurs présumés ?

Oui. En tout cas, l’anonymat est respecté des deux côtés et je trouve cela très important. Ensuite, évidemment, il y a la présomption d’innocence. Mais c’est très bien aussi que les victimes se sentent entendues. Il faut que ça puisse être la source de débats internes entre étudiants sur ce qu’est le consentement entre deux personnes. Qu’est-ce qui peut nuire à la bonne lisibilité des signaux de consentement d’une femme ? Dans une soirée où tout le monde a énormément bu, on perd un peu de vue l’essentiel – est-ce qu’elle était d’accord ou pas d’accord ? Ça permet d’avoir ces débats.

À Dauphine et aux Mines, certaines activités associatives, d’implication dans un BDE, sont compensées par des crédits ECTS. Savez-vous s’il est prévu que le CPES adopte ce système ?

J’ai reçu un e-mail des présidents du BDE (Ndlr : les magnifiques Louis Reboul et Corentin Lucas), me faisant part de cette possibilité. L’engagement dans la vie étudiante doit être valorisé. Je leur ai répondu qu’il fallait qu’on organise un rendez-vous avec la vice-présidente vie étudiante de PSL pour organiser les choses d’une manière harmonieuse entre formations. Cela est, par exemple, fait dans la formation “Monde durable”. Ainsi, je suis favorable sur le principe, mais avant de décider de quoi que ce soit dans la mise en œuvre, il faut qu’on prenne cinq minutes collectivement pour réfléchir au moyen de le faire.

Parlons de l’avenir des étudiants du CPES, sur lequel beaucoup d’élèves se posent des questions. Un mot pour les rassurer ?

Tout va bien se passer. Vous êtes dans une formation exigeante. Vous êtes tous merveilleux et vous partez avec de nombreuses cordes à votre arc. Je crois que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il y a de très bons débouchés à cette formation, les étudiants s’en sortent très bien après. Quand on a le nez dans le guidon, on oublie cette perspective-là. Les liens avec le CPES Alumni sont très importants, parce qu’ils permettent d’avoir cette visibilité sur l’après et de montrer à quel point l’après, c’est bien

Certains d’entre nous rêvent d’une carrière dans la recherche. En étant vous même chercheuse, quel regard portez-vous sur l’état actuel de la recherche en France ?

Le métier de chercheur est un métier formidable. Mais la recherche française est sous-financée. Les salaires des chercheurs sont très bas par rapport aux standards de nombreux pays de l’OCDE, ce qui réduit l’attractivité des métiers de la recherche. Le sous-financement touche les salaires et les crédits récurrents des chercheurs en laboratoire, explique le manque de postes au CNRS et à l’université. C’est un énorme problème. Des efforts sont consentis pour améliorer cette situation, mais je ne suis pas sûre que ce soit suffisant – bien que des décisions récentes, comme la hausse du budget de l’ANR, aillent dans la bonne direction.

Et concernant les polémiques qui traversent actuellement ce monde-là ?

Pour les polémiques de type « islamo-gauchisme », je n’ai, justement, pas envie de polémiquer. Je me contenterai de dire que je suis absolument pour la liberté académique et la liberté des chercheurs.

Propos recueillis par Matéo Ki Zerbo le 26 février 2021.

5 commentaires sur “Entretien avec Coralie Chevallier, vice-présidente de formation de PSL et directrice du CPES : « Je voudrais avant tout poursuivre le projet qui a été mis en œuvre. »”

  1. Commentaire anonyme

    « en vérifiant, avec des indicateurs comme les notes », « d’un point de vue purement objectif, au niveau des notes du premier semestre », « les chiffres parlent d’eux-mêmes » : hmm, cet amour de la quantification… ça sent les sciences cognitives…

  2. « je ne veux pas dire coupable » quand les victimes sont pourtant « victimes », la honte ! Stop à l’impunité, dénoncez vos élèves les violeurs

  3. Je me sens très mal à l’aise à la lecture de cet article. Tout particulièrement au moment d’aborder PSL Too. Je ne comprends pas le principe de reconnaître des victimes de violences sexuelles mais aucun coupable… Peut être victimes de leurs délires paranoïdes…
    En outre, je suggère que des investissements supplémentaires soient faits concernant cette prise en charge des violences sexuelles, d’harcelement sexuel. L’intention est là mais nous manquons visiblement d’impulsion, comme par exemple un.e référent.e égalité Victimes, on vous croit. Violeurs, on vous voit.
    PS: est-il possible d’écrire les articles en écriture inclusive ou alors d’avoir un débat sur cette thématique, je pense que des élèves seraient très intéressé.es par cela !

    1. Merci pour ton commentaire!
      En ce qui concerne les articles en écritures inclusives, nous avons fait le choix en interne de laisser à nos journalistes la discrétion de l’usage de l’écriture inclusive. Néanmoins, l’idée d’un débat sur cette thématique est très intéressante! Nous allons partager cette idée avec les membres de rédaction! Si tu veux toi aussi écrire quelque chose dessus, n’hésite pas à nous envoyer ton article par mail: cpes.journal@gmail.com.
      Bonnes CPEculationS!

  4. Merci pour l’honnêteté, qui souvent est oubliée et sous-estimée de nos jours…
    Ça ne m’étonne pas qu’on vous prenne parfois par les mots. C’est un peu comme un courant d’eau claire qui va se jeter dans une rivière de boue. Les sujets sont sales, et il est difficile de s’exprimer sans « blesser » personne… merci et bonne soirée

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