Conférence sur les violences intrafamiliales organisée par l’association Cause Toujours

Le 25 janvier dernier, une conférence sur les violences intrafamiliales s’est tenue à la Maison des Initiatives Étudiantes. Organisée par la nouvelle association féministe intersectionnelle du CPES, Cause Toujours, la conférence avait pour but d’informer ce que deviennent les enfants lorsqu’un féminicide a lieu, de partager les moyens mis en place pour créer un environnement sécurisant pour les victimes, et de présenter les actions de l’observatoire des violences envers les femmes de Seine Saint Denis. 

Vous avez raté la conférence ou vous avez oublié de prendre des notes ? Pas d’inquiétude, Cpeculations y a participé et vous livre les éléments et moments importants de la conférence. 

En arrivant, Ella, Aziana et Maëlle, les trois fondatrices de Cause toujours nous indiquent la salle de conférence. Après un disclaimer bienveillant, la conférence peut commencer.  Deux membres femmes avaient la parole : Abigaïl Vacher, chargée de projets à l’Observatoire de Seine-Saint-Denis, et Michèle Rigault aussi membre de l’observatoire et participant à procédures accompagnant les femmes et enfants victimes de violence. Toutes deux nous ont présenté l’institution dans laquelle elles travaillent, avant de rentrer plus profondément dans la pratique avec Michèle, enrichie de 35 ans d’expérience dans le milieu social. 

L’observatoire. 

Créé en 2002, l’observatoire de St Denis est composé de sept membres qui gèrent la vie de l’institut ou qui sont chargés de projets. Différentes missions sont remplies par l’observatoire. 

La première est d’observe et mesurer l’ampleur des violences faites aux femmes et la qualité de leur prise en charge. Divers exemples nous ont été donnés par X. Sur 24 dossiers de féminicides étudiés pour une enquête, 20 cas relataient l’appel de la police-secour par la dame, qui ne s’est jamais déplacée. D’autres études montrent la fréquence du féminicide à l’occasion de droit de visite pour voir les enfants communs. On observe aussi que dans la plupart des cas, les femmes ne se déclarent pas en danger auprès de la police avant que le féminicide n’ait lieu. Enfin, les enfants pouvaient avoir été témoins du féminicide ou de violences, mais ne bénéficiaient pas de prise en charge adaptée en psycho-traumatologie. 

En lien avec cette première mission, l’observatoire vise à créer différents outils pour réagir à ces constats alarmants. Quatre types de dispositifs ont été créés face aux résultats d’études mentionnés ci-dessus. Le Téléphone Grave Danger est désormais mis à la disposition des dame ayant été victime de violence ou de viol, sur décision du procureur. Cela lui permet de déclencher le téléphone si son agresseur l’approche, la police arrive alors en 7 minutes maximum. En ce qui concerne les risques liés aux droits de visite, l’ordonnance de protection, généralisée sur l’ensemble du territoire est mise en œuvre et divers protocoles sont élaborés par l’observatoire : elle interdit à l’agresseur de paraître au domicile, au lieu de travail, à l’école des enfants etc., l’accord d’autorité parentale exclusive est davantage envisagé. D’autres mesures de protection peuvent également être appliquées par cette loi. Toutes ces études ont aussi aidé à élaborer le questionnement systématique par les professionnels en contact avec le public dans les services sociaux : aborder systématiquement la question des violences (« est-ce que vous avez subi des violences ? » « Est-ce qu’il y a des choses qui vous ont fait du mal et qui continuent de vous faire du mal »). Il s’agit de permettre aux femmes d’identifier le lieu comme un espace d’accueil sûr, bienveillant où elles pourront être entendues et crues. 

La dernière mission de l’observatoire est de former les professionnels, de diffuser les outils à leurs disposition, de rappeler les législations mobilisables, de conseiller des mesures pour la prise en charge, d’informer. Des événements sont organisés lors de dates spécifiques. Ainsi, le 25 Novembre pour la journée contre les violences à l’encontre des femmes, l’observatoire convie jusqu’à 1000 professionnels pour des conférences souvent autour d’un thème. D’autres rencontres sont prévues tout au long de l’année, avec également des temps de sensibilisation du grand public (marche Nous Toutes, marches blanches à chaque féminicide). 

Le violoentomètre, exemple d’outil développé par l’observatoire.

L’observatoire de la Seine Saint Denis est le 1er en France. Mais ce type d’institution se répand et on en compte aujourd’hui 30 sur le territoire national. Différents acteurs peuvent être à l’origine de la création d’un observatoire : les conseils départementaux, des associations qui se mobilisent, l’Etat à travers des délégués départemental ou régional des droits des femmes (des institutions déconcentrées), cela peut aussi être à l’échelle d’une ville… C’est souvent à l’initiative de personnes très motivées, qui portent l’observatoire mais qui sont à peine rémunérées. Certains manquent vraiment de financement. Quoi qu’il en soit, l’existence d’observatoire n’est aujourd’hui pas institutionnalisée. 

Abigaïl est chargée de l’ensemble des dispositifs en lien avec la justice. Elle a des missions d’observation des suivi, de création d’études et d’outils d’information pour les personnes directement concernées. Néanmoins, elle ressent des difficultés car elle est amenée à faire des entretiens sans avoir fait jusqu’à présent de formation pour accompagner les femmes victimes. 

Question d’Aziana : pourquoi dire « la dame », « la madame » ? « C’est par souci d’anonymat : on ne dit pas quelle dame. Dans les rapports aux juges on dit Madame, les noms sont effacés c’est obligatoire. »

Quelques détails sur le protocole féminicide et la mesure d’accompagnement protégé. 

Michèle au contraire a toujours travaillé sur le terrain. Dans les métiers du social depuis 35 ans, elle est l’une des actrices de divers dispositifs. Elle est avant tout concernée par les enfants dans les violences intrafamiliales, mais accompagne aussi les femmes qui en sont victimes. 

En 2009, le travail mené sur les féminicides en collaboration avec le parquet avait montré que dans la moitié des cas, les assassinats s’étaient produits à l’occasion du droit de visite du père violent. Face à ces résultats, des préconisations avaient émergé, dont la mesure d’accompagnement protégé, afin d’éviter que l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement soit source de passage à l’acte violent. En 2010, le projet d’accompagnement protégé fut présenté parmi les mesures contenues dans l’ordonnance de protection portée par la Seine-Saint-Denis, à la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes à l’Assemblée Nationale. Cette dernière a été retenue dans la loi du 9 juillet 2010. Le dispositif d’accompagnement protégé prévoit l’accompagnement de l’enfant par un·e adulte, lors des déplacements entre le domicile de la mère et le lieu de visite du père. Il permet d’éviter tout contact entre la mère et le père auteur de violences et permet à l’enfant de s’exprimer librement avec un·e tiers. Ces personnes morales qualifiées, c’est à dire appartenant à une association et formée, sont souvent des retraité·e·s comme Michelle qui reçoivent un défraiement. 

Michèle participe donc à la mise en place de la mesure de protection. Elle reçoit d’abord la mère. Elle et les professionnels qui l’accompagnent connaissent le contenu de l’ordonnance et s’assurent que la mère a bien lu et compris ce que le juge a prononcé. Ils leur demandent comment elle en est arrivé là. Cela demande du tact, une adaptation à son état émotionnel. Le plus important est selon Michèle de lui faire savoir qu’iels la croient. Différentes précisions sont demandées : est-ce qu’elle a un logement, est-ce qu’elle parle français, quelle est sa santé psychique et physique. Petit à petit sont abordées les questions de sexualité et de violence. A la fin de l’entretien, iels aident la dame à se préparer pour la prochaine audience qui a lieu dans les six mois avec l’aide d’une juriste. Celle-ci l’aide aussi à acquérir les droits dont elle dispose, car bien souvent ces femmes ont besoin d’argent, d’aide au logement etc. Iels l’aident à trouver des relais de confiance qui ont souvent été coupés par le conjoint : famille, amis, proches… Il s’agit de redonner de l’ouverture, rendre possible des rencontres etc. Michèle donne son numéro de téléphone en se disant toujours là en cas de problème, afin d’établir un lien de confiance. 

Une rencontre a ensuite lieu avec le ou les enfants. Le même tact est nécessaire. Ils voient un.e psychologue reconnue par le juge, qui peut être appelée pour une expertise. Iels collaborent avec elle pour qu’iel pose les bonnes questions. La parole des enfants est prise très au sérieux car améliore le dispositif de prise en charge et de sécurité personnelle pour les mères. Michèle et ses collègues sont en lien étroit avec l’accompagnateur.trice des enfants pour savoir comment évolue la situation. Michèle raconte ainsi comment un meurtre certains a été évité par un enfant qui a rapporté ce que planifiait le père. Iels sont attentif.ve.s à si l’enfant rapporte des questions posées par le père à propos de la mère.

Enfin, une rencontre avec le père a lieu. Différents sujets sont abordés : travail, addiction, casier judicaire etc. Il s’agit également de mesurer le danger, de comprendre ce qui passe par différentes tactiques de la part de Michèle, que ce soit par des postures – pointer du doigt pour montrer qu’elle n’a pas peur – ou des paroles – provoquer l’incohérence pour faire avouer. 

Sur 164 situations gérées par ce protocole, il n’y a jusqu’ici pas eu d’échec pour les femmes. 

Michèle participe également au protocole féminicide. Ce protocole expérimental prévoit que, suite à un féminicide, lorsqu’il y a des enfants orphelin·e·s, le ou les mineur·e·s sont confié·e·s au Service départemental de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), en vue d’une hospitalisation durant 8 jours. On s’occupe alors de leur santé mentale et physique. 

Elle réalise des interventions carcérales auprès des hommes contraints à faire un stage sur les violences familiales alternatif aux poursuites. Elle montre tous les maux que ces hommes provoquent autour d’eux, notamment via des vidéos dont elle s’est toujours servi dans sa carrière. Elle regrette néanmoins la durée de cette sensibilisation beaucoup trop courte. 

Michèle est aussi intervenue dans des écoles, où elle montre aux élèves « Mon corps c’est mon corps », une vidéo qui explique aux enfants comment se protéger, ce qui est malheureusement souvent nécessaire. Cette vidéo permet aussi d’identifier les enfants qui ont besoin de protection. 

La voix de l’expérience

Dans ces paroles, on comprend à quel point le succès des dispositifs est encore peu institutionnalisé et passe par le dévouement total des personnes impliquées. Pour sa part, elle est disponible 24h/24 pour les femmes qui ont besoin d’elle, et elle fut déjà amenée à les soutenir en cas de situation de danger.  

Tout au long de la conférence, Michèle partageait son expérience de manière très concrète. Elle rapportait les discours, les craintes, les émotions des femmes qu’elle aide. Écouter les conséquences dévastatrices des violences intra-familiales dans les vies, dans le corps et le mental des victimes permet de mesurer la gravité et les effets en cascade sur l’entourage, en somme d’aller au-delà des statistiques parfois froides et réductrices.

Les organisatrices, dans leurs mail récapitulatif envoyé aux participant.e.s retranscrit bien la conférence : « Leur travail, et ce qu’elles nous ont partagé, nous a beaucoup touchées et appris des réalités que sont au quotidien les violences conjugales et le métier de travailleuses sociales. Cette intervention changeait de l’approche plus « théorique » que l’on connaît, et était plus ancrée dans la réalité, ce qui nous a permis à nous aussi de sortir pour un temps de ce monde dans lequel on évolue. Ecouter Michèle nous a fait sentir qu’il y avait une autre manière d’approcher la lutte contre les VSS, qui nous est étrangère, et qui nécessite du temps, de l’engagement, de l’expérience et des qualités humaines particulières. » – mail de l’association Cause toujours.

Les retours de la conférence des participant.e.s vont également dans ce sens. 

« Les témoignages m’ont marquée et certains étaient durs à entendre mais […] je trouve ça vraiment cool qu’une asso organise ce genre d’événements au CPES car on entend beaucoup de choses sur les violences et féminicides mais perso je vois ça de loin donc j’ai trouvé ça super d’avoir le retour de quelqu’un qui travaille pour aider les victimes mais aussi auprès des agresseurs. Ça aide à prendre conscience de beaucoup de choses donc je pense assister à d’autres événements de l’asso. » – Anna, 3ème année de CPES

« La conférence était super intéressante car je trouvais que ça sortait du cadre scolaire. Le fait que ça ne soit pas forcément structuré, ça ne m’a pas du tout dérangé. La seconde intervenante pouvait laisser libre cours à ses pensées ce qui permettait d’avoir accès directement à son quotidien. Dès qu’elle pensait à quelque chose d’intéressant elle en parlait, on progressait dans la discussion avec elle. Et puis je n’avais jamais parlé avec une personne directement au contact des personnes victimes de violences. C’était compliqué parfois à entendre et à supporter mais on a besoin de piqûre de rappel. » Domitille, LISS à Dauphine

Néanmoins, du fait de cette ancrage dans l’action, le terrain et moins le monde des théories, l’usage de certain mot, bien qu’intentionnel pouvait nous paraître déplacés. Mais une fois encore, les organisatrices proposent une bonne manière de les recevoir : « Il a pu arriver que l’on soit décontenancées par certaines de ces expressions ou manières de présenter les choses. Ces moments de désaccord ou malaise nous ont permis de réaliser que parfois nous sommes très attachées aux mots et aux sens qu’on leur attribue, à nos manières propres de voir les choses et que spontanément, ces attentions peuvent nous éloigner des messages que l’autre souhaite faire passer. » 

Lena Perrinet

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