Jeune guinéenne de 23 ans de confession musulmane, Bailaou Diallo est venue se réfugier en France en 2017, pour fuir la maltraitance journalière de sa famille, mais l’État français menace de la renvoyer dans son village, où elle risque de subir les pires sanctions pour avoir osé s’enfuir avec un Catholique.
Mardi 18 juin 2019, à Paris, dans l’espoir de réaliser une enquête sur la précarité menstruelle, je me rends Passage Raguinot, à l’association Halte Femmes, avec l’intention de discuter du sujet qui m’intéresse avec des personnes en situation de précarité. Mais sur la porte on peut lire : « Fermeture exceptionnelle mardi 18 juin ». Devant l’entrée, plusieurs femmes attendent l’ouverture, je leur explique alors qu’il faudra qu’elles reviennent demain. L’une d’entre elles m’interpelle d’une voix très douce, pensant que je travaille ici : c’est Bailaou Diallo. On commence à discuter, je lui réponds que je ne fais malheureusement pas partie de l’association, et lui explique la raison de ma venue. De son côté elle me raconte qu’elle cherche de l’aide pour faire réexaminer sa demande d’asile, déjà rejetée en recours. Elle me montre une adresse : 3 Rue De Lesdiguières, je cherche un numéro de téléphone sur internet, et nous convenons la chose suivante : je l’accompagne jusqu’au centre d’accueil de jour qu’elle cherche, et en échange elle me fait part de son parcours et des raisons qui l’ont poussée à quitter sa famille, son village, et son pays.
Bailaou Diallo est arrivée en France en 2017, à Nice, où elle a connu des jours extrêmement difficiles, n’ayant pas de toit ni de source de revenus. Elle me raconte avoir connu une tentative de viol lorsqu’elle dormait sur la Promenade des Anglais : «heureusement, j’ai crié, et les gens ont dit « mais qu’est-ce qu’il se passe », et l’homme s’est enfui » explique la jeune femme, d’un ton révolté. Elle n’est arrivée à Paris que très récemment, et cela fait maintenant une semaine qu’elle habite chez une personne âgée en déplacement, qui lui a proposé de garder sa maison, si Bailaou acceptait de verser un peu d’argent en guise de loyer. Aujourd’hui, elle gagne très peu d’argent en faisant des tresses, mais elle passe le plus clair de son temps à chercher des associations qui pourraient lui venir en aide. Son plus gros défi est de se déplacer dans Paris sans se perdre, et de parvenir aux adresses que lui indique son guide « Solidarité à Paris ».
Contraintes et maltraitances quotidiennes
Venons-en aux faits : pourquoi a-t-elle tout quitté pour venir en France, où la vie n’est pas facile pour elle ? A l’âge de 8 ans, Bailaou perd sa mère. Très vite, son père trouve une nouvelle femme, qui l’oblige à subir une excision, et à rester à la maison pour s’occuper des tâches ménagères, pendant que ses amies, elles, vont à l’école. Son père et sa belle-mère la battent quotidiennement. Un jour, épuisée, elle décide de partir chez sa tante pendant trois mois, pour se reposer. Celle-ci habite à la capitale, Conakry. Là-bas, elle rencontre un homme, Bernare, dont elle tombe amoureuse. Il est professeur de français et catholique, alors qu’elle est musulmane. Ils décident de rester chez Bernare, mais le père de Bailaou apprend la nouvelle. Homme politique assez influent dans sa région, il ne peut supporter un tel affront. Il parvient à retrouver Bailaou, et la ramène de force à son village. Une fois rentrés, le père de la jeune femme organise un mariage forcé avec un ami à lui, alors que celle-ci est encore extrêmement jeune, et que l’homme en question a une soixantaine d’années, et déjà deux femmes. Chez son mari, Bailaou dort peu, et doit s’occuper de tout, y compris des nombreux enfants. Dans ce mariage polygame, les femmes ont pour obligation d’avoir des rapports sexuels avec leur mari deux jours par semaine environ : les trois femmes alternent. Mais avec sa force de caractère exceptionnelle, Bailaou ne se laisse pas faire, et refuse, malgré les coups et les menaces de son mari. Un jour, celui-ci lui demande de l’accompagner dans sa résidence secondaire pour changer d’air, lui promettant de rentrer le soir-même. Mais quand Bailaou arrive à destination, elle découvre deux hommes cagoulés qui l’attachent de force au lit : « il m’a violée pendant une heure, je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie », me confie la jeune guinéenne, son regard encore abasourdi par tant de violence, plongé dans le mien, qui trahit un sentiment d’impuissance. Une fois la nuit tombée, et son mari endormi, elle veut s’enfuir, mais ne connaît pas l’endroit où elle est, a peur de se perdre dans le noir, et a extrêmement mal partout. Le lendemain, une fois rentrée au village, Bailaou court chercher son père, et lui raconte ce qui est arrivé, en pensant qu’il ferait quelque chose pour l’aider. A son grand étonnement, il lui explique que c’est normal, et qu’elle doit remplir ses obligations conjugales. A ce moment-là de l’entretien, Bailaou s’agite, ses mains tremblent, son débit s’accélère, comme si elle revivait ce moment d’incompréhension extrême : jamais elle n’aurait pensé que son père ne se révolterait pas face à une telle agression. Moi-même, je n’imagine pas que cela soit possible.
Se réapproprier son destin
C’est à ce moment-là qu’elle prend la décision de fuir son pays avec Bernare. Ils partent d’abord à la capitale, pendant trois mois, le temps de récolter assez d’argent pour partir. Son père l’apprend, la retrouve à nouveau, et l’enlève en la ligotant dans sa voiture. A son retour, elle passe trois mois en garde à vue pour payer l’humiliation qu’elle a fait subir à sa famille. Là-bas, elle dort sur un matelas posé à même le sol avec trois autres femmes. Elle a droit à un repas par jour, et une douche par semaine. Dans de telles conditions, elle tombe rapidement malade, et est envoyée quelques temps à l’hôpital. Après cet épisode, elle parvient à s’enfuir à nouveau avec Bernare et à se cacher. Ils passent un an et demi à travailler en tant que marchands ambulants, pour gagner de l’argent et rejoindre la France. Malgré tous leurs efforts, ils ne parviennent à payer qu’un seul billet d’avion. Bailaou part, et Bernare entreprend la traversée en barque. Il meurt au large de la côte libyenne.
Extrêmement courageuse, Bailaou garde espoir. Chaque jour, elle se bat pour trouver de quoi manger et vivre, faire recharger son pass Navigo. Bien qu’elle ne sache pas s’orienter dans Paris, elle demande sans cesse son chemin aux passants jusqu’à arriver à la destination souhaitée. Elle cherche également une gynécologue, car elle souffre encore de son excision réalisée dans des conditions précaires, et mal exécutée. Elle reste digne, et m’a confié que lorsqu’elle passe ses journées dans la rue, et ses nuits dans des centres d’hébergement, avec « des personnes folles » dit-elle, elle ne cède jamais à la pression de certains hommes qui lui proposent de l’argent contre des faveurs sexuelles. Même lorsqu’elle ne peut pas manger, elle n’accepte pas que l’on profite de sa situation. S’efforçant d’avoir un comportement exemplaire, elle se réveille toutes les nuits pour prier, en espérant que l’État qui n’avait pas jugé valables ses explications quant à sa nécessité de rester en France, réexamine sa demande d’asile.