Amoureuse de l’amour

Une rencontre. Un regard. Un sourire. Une fille en détresse. Un jeune homme qui souhaite l’aider. Croyance superflue en l’amour. Têtes remplies de contes pour enfants. On se cherche, on examine l’Autre, on essaie de comprendre qui il est. L’illusion est immense. Il est beau. Elle est belle. On joue avec les autres pour mieux lui plaire. Elle n’est plus Elle, il n’est plus Il, ils sont devenues des images. L’espoir les transforme en fantasme. La rencontre n’en est en fait pas une. Des regards, des peaux qui se cherchent, avec maladresse. Un tu viens ? Je l’ai suivi, et en même temps je l’ai perdu. Je me suis perdue. Amoureuse de l’amour. Amoureuse des Idées et non des choses vraies. Comme toujours. Les choses vraies font mal, sont crues. Il faut faire des concessions, trouver des dates, douter, espérer, pleurer. Il et Elle auraient du danser ce soir là dans le monde des idées, de manière insouciantes. Il est séduit par la forme de Elle. Elle est séduite par la forme de Il. L’espoir d’atteindre l’autre est immense. Mais le monde des Idées est inatteignable. Tu as des frères et sœurs ? Tu aimes le sport ? Ta couleur préférée ? Faire la somme des caractéristiques de l’Autre pour pouvoir l’atteindre n’est que peine perdue. Je suis tombée amoureuse d’un fantôme, de gestes, de mots, d’actions. J’ai voulu y croire. J’ai passé mes nuits à penser à lui. Il n’y avait que dans mes rêves finalement que je pouvais l’atteindre, qu’il était pour moi, qu’il était à moi. Soirée à le chercher. Soirée à l’éviter. Soirée en colère. Soirée à l’embrasser. Soirée à mordiller la peau de son cou en espérant me rapprocher un peu mieux du monde sensible. Son odeur, ses mains, ses yeux, ses lèvres, les creux de ses joues quand il souriait…

Mon amoureux avait enfin une peau, une odeur, des mains, des lèvres, des joues, alors que depuis quelques mois il n’avait ni de prénom, ni de tête, n’était rien. Toutefois mon amoureux a toujours été là. Il s’est appelé Ibrahim, Matthieu, Nicolas, Adèle, Judicaël, Guillaume, Léo. Il avait les yeux bleus, les yeux marrons, la peau claire, la peau basanée, avait des seins, un sexe masculin, était petit, blagueur, timide, grand, sportif, introverti. Aujourd’hui mon amoureux commence à perdre son odeur, ses mains, ses lèvres, ses joues. Son image disparaît peu à peu, mais mon amoureux ne disparaîtra jamais. Si je ne puis m’aimer moi-même, c’est cet être que j’aimerai, cet être à qui je me donnerai entièrement. Cet être qui me fera rire, qui me brisera, qui m’aimera, qui me trompera, qui me fera pleurer de tristesse ou de joie. Cet être qui changera de formes encore et encore. Cet être qui disparaîtra, apparaîtra, faisant du même coup valser mes émotions. Mais qui remplira ce vide immense qui est en moi. Cet être que je ne comprendrai jamais, aveuglée par sa lumière. Fuir l’angoisse, exister en se rapportant au monde grâce à l’Autre.

Mais mon amoureux a un prénom secret, il s’appelle Amour. Je suis amoureuse de l’Amour, et ceci pour toujours. Je suis amoureuse de l’amour, et la seule manière de laisser tomber Il, c’est de donner à Amour une autre forme. Parfois cette forme me ressemble, mais ce ne sont que de courtes périodes. Cette image se floute très vite et est remplacée par un Autre si beau qu’il me détruit. L’Autre me détruira toujours, mais je remonterai la pente comme toujours, encore plus forte. S’il faut avoir des chagrins d’amour pour que je puisse enfin me laisser submerger par la passion de l’écriture, qu’il en soit ainsi. L’Autre aura toujours ce pouvoir de me ramener à moi-même, piqûre de rappel au milieu de cette vie dans laquelle je me perds. L’Autre est la boussole de mon être. Je suis condamnée à être amoureuse de l’Amour pour être.  

Plume anonyme